Aelita

De Yakov Protazanov
URSS - 1924 - vost - 110' - Numérique
Synopsis

Déçu par sa femme Natacha qui a cédé peu à peu aux tentatives de séduction d’un vil capitaliste, Los, ingénieur en aéronautique, a régulièrement des visions d’une belle reine martienne nommée Aelita. Il cherche à la rejoindre alors qu’une révolution se prépare sur la planète rouge

Critique

Gloire du cinéma tsariste, réalisateur favori du grand acteur Ivan Mosjoukine, Protazanov quitte l'URSS en 1920 pour Paris. Là, il va tourner plusieurs films et devenir un des principaux animateurs (avec Mosjoukine, Nathalie Lissenko, Tourjansky, Volkoff,...) de l'école russe de Montreuil, réunie autour de la société de production Albatros, qui va durablement influencer le cinéma français. Après un détour par Berlin, il profite de la N.E.P. pour rentrer dans son pays. Aelita, tourné en 23, est donc son premier long-métrage soviétique. C'est une vraie rareté en même temps qu'un passionnant film de science-fiction, proche du Metropolis de Fritz Lang. Si Protazanov fait incontestablement partie de la vieille école et n'est guère passionné par les recherches formelles qu'entreprennent alors Eisenstein, Vertov ou Koulechov, son film n'en demeure pas moins un étonnant mélange d'intrigues sentimentales désuètes, de réalisme documentaire, d'esthétique constructiviste et d'anticipation délirante à la Jules Verne. Situé en 21, soit à la fin de la guerre civile, il oscille entre le chant à la gloire du bolchevisme triomphant et la critique des travers de la nouvelle société. On y trouve une dénonciation pleine d'humour de la tentation policière en même temps qu'une charge contre les profiteurs de tout poil et les antirévolutionnaires nostalgiques. Le héros, un courageux ingénieur de choc, rêve de conquérir Mars pour renverser l'ordre archaïque, libérer le lumpen prolétariat local, fonder l'Union des Républiques Socialistes Martiennes et y filer le parfait amour avec Aelita, la belle princesse. Si la mise en scène n'est pas à la hauteur de ce scénario baroque, le film comporte tout de même quelques brillantes trouvailles visuelles (par exemple, l'escarpin rutilant camouflé sous la botte kolkhozienne). L'utilisation systématique de plans fixes est contrebalancée par l'inventivité des fondus-enchaînés et le constant jeu de miroirs entre le chaos moscovite et l'aspect figé des décors martiens. Premier grand succès international du cinéma soviétique, Aelita est un film atypique et très drôle, une réjouissante comédie futuriste. D'ailleurs, le film fit tellement rire les camarades que, cette année-là, beaucoup de petites filles furent baptisées Aelita.

Frédéric Bonnaud, Libération

Projeté dans le cadre de

18 Janvier 2022
En collaboration avec le Conservatoire de Musique de Genève