Le Troisième Homme

Un écrivain, appâté par la promesse d'un boulot promis par un vieil ami, arrive, tout fringant, dans la Vienne de 1948, le jour même où cet ami est enterré...

Ce point de départ sert de prétexte à Carol Reed et à son illustre scénariste, le romancier Graham Greene, pour peindre, après Auschwitz et Hiroshima, un monde où tout est inversé. Le paradis gît désormais dans les abysses, et c'est l'enfer qui trône au ciel. Les cadrages, presque toujours penchés, la photo fantomatique de Robert Krasker et la musique d'Anton Karas accentuent l'épouvante de ce monde nouveau, où les morts font semblant de l'être, mais le sont plus qu'ils ne le croient.

C'est l'ère des monstres froids, brillants d'intelligence, fascinants par l'ampleur même de leur cynisme. Face à son copain qui croit encore, l'imbécile, que la vie est un roman, il grince, dans un sourire : « L'Italie des Borgia a connu trente ans de terreur, de sang, mais en sont sortis Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance. La Suisse a connu la fraternité et cinq cents ans de démocratie. Et ça a donné quoi ? Le "coucou" ! » La réplique a été écrite par Welles lui-même. Elle reflète l'angoisse que distille ce film, qui se clôt sur un dénouement splendide, l'un des plus mélancoliques de l'histoire du cinéma.

Pierre Murat, Télérama