Inception

De Christopher Nolan
Etats-Unis, Royaume-Uni - 2010 - vost - 148'
Synopsis

Dom Cobb est un voleur expérimenté – le meilleur qui soit dans l’art périlleux de l’extraction : sa spécialité consiste à s’approprier les secrets les plus précieux d’un individu, enfouis au plus profond de son subconscient, pendant qu’il rêve et que son esprit est particulièrement vulnérable. Très recherché pour ses talents dans l’univers trouble de l’espionnage industriel, Cobb est aussi devenu un fugitif traqué dans le monde entier qui a perdu tout ce qui lui est cher. Mais une ultime mission pourrait lui permettre de retrouver sa vie d’avant...

Critique

(...) le cinéaste développe – autre rareté dans les superproductions actuelles – plusieurs discours qui s’entremêlent.

Premier niveau, d’une force dramatique imparable: le héros ne peut agir seul car ses propres rêves sont sans cesse parasités par le souvenir de son épouse décédée (Marion Cotillard) et celui de ses jeunes enfants dont il est privé, accusé qu’il est d’avoir tué leur mère. Il y a lieu, à ce propos, de saluer autant que d’interroger les choix de Leonardo DiCaprio qui, après Shutter Island de Martin Scorsese, excelle à livrer, dans ce type de matériau, sa propre part d’ombre.

Deuxième niveau, d’un romantisme bouleversant: si Dom Cobb est malade de ses rêves, c’est qu’il a abusé de ses techniques pour construire, du vivant de sa bien-aimée et en sa compagnie, un monde idéal, dédié à leur amour, mais qui a fini par la rendre folle. Depuis la mort de sa femme, Cobb s’est créé un univers mental, disons semi-inconscient, dans lequel il a enfermé sa belle. Et il faut voir comment Christopher Nolan illustre ces idées, aussi bien le souvenir du bonheur passé que la volonté de se maintenir dans le deuil et la douleur, de peur que le visage de l’être aimé ne s’estompe puis disparaisse.

Troisième niveau, d’une profondeur philosophique et artistique renversante: le problème de Dom Cobb, dans sa mission d’inception, revient à chercher comment faire naître l’inspiration chez sa victime, comment lui faire croire que l’idée de disséquer l’empire de son père vient d’elle-même. Cette question émane bien évidemment d’un cinéaste qui s’interroge sur sa propre inspiration, mais pas uniquement: Nolan trouve également là un modèle narratif et des images pour explorer les chemins tortueux qui font qu’une œuvre d’art, en l’occurrence un film, s’insinue dans l’esprit de celui qui la regarde et touche le plus profond de ce spectateur au point de lui paraître immédiatement familière.

Quatrième niveau parmi tous ceux, nombreux, que renferme ce chef-d’œuvre à tiroirs, et qui prolonge le troisième avec une splendide réflexion sur l’art de la mise en scène: pour tromper ses victimes, Dom Cobb réussit, grâce à un appareillage de science-fiction, à les attirer dans des rêves qu’il construit de toutes pièces et qui possèdent, comme le film lui-même, plusieurs niveaux. Cobb en est le créateur, mais, pour parvenir à ses fins par-delà ses traumatismes parasites, il a besoin d’une équipe d’experts dont le subconscient est suffisamment sain pour monter des univers oniriques crédibles. Il est donc épaulé par un assistant qui prépare le terrain et peaufine les détails (Joseph Gordon-Levitt), par un roi du mimétisme capable d’imiter les proches de la victime (Tom Hardy) ou encore, grâce à son beau-père professeur d’université à Paris qui lui a enseigné la technique du partage des rêves (Michael Caine), une étudiante capable d’imaginer des décors labyrinthiques et paradoxaux (Elliot Page). Un assistant, un comédien, une décoratrice, sans oublier le client qui tient à participer à l’aventure en tant que producteur de l’opération (Ken Wantanabe), Christopher Nolan réunit donc l’équivalent d’une équipe de cinéma.

Car Inception n’est pas uniquement un film de science-fiction destiné à vous mettre la tête à l’envers. C’est aussi le témoignage d’un cinéaste, d’un immense artiste, qui décrit les tourments de son métier, des pressions économiques aux tracas de sa vie sentimentale, en passant par l’angoisse de ne pas être crédible, d’être démasqué, de réveiller brusquement le spectateur et d’être rejeté. Et la matière des rêves, si dévoyée par des conjugaisons comme celles, horrifiques, du croque-mitaine Freddy Krueger, retrouve sa fonction poétique et fondamentale, celle de Cocteau( Le Testament d’Orphée), d’Hitchcock (La Maison du Docteur Edwardeset ses séquences oniriques dessinées par Dali) ou de David Lynch.

Thierry Jobin, Le Temps

Projeté dans le cadre de

Du 14 Septembre 2014 au 16 Septembre 2014
60e anniversaire du CERN