La Nuit des femmes
La jeune Kuniko est pensionnaire d’une maison de réhabilitation pour anciennes prostituées. Malgré la bienveillance de la directrice, la vie n’est pas facile, et comme toutes ses camarades, elle espère s’en sortir.
Kinuyo Tanaka étonne encore avec ce portrait de jeune femme en résistance, ballotée d’un emploi à l’autre, et menacée, à chaque instant, de retomber dans la fange. Une œuvre certes sombre, mais d’un dynamisme et d’une fraîcheur qui annonce avec brio les films de délinquants juvéniles qui se tourneront dans le monde entier jusqu’à la fin des années 1970.
Les films consacrés au monde de la prostitution constituent un genre à part entière dans le cinéma japonais et la grande actrice Kinuyo Tanaka en a tourné plus d’un sous la direction de Kenji Mizoguchi : Yoru no onnatachi - Les femmes de la nuit, La Vie d’O’Haru femme galante, Une femme dont on parle.
C’est donc sur les pas du grand cinéaste dont elle fut l’interprète privilégiée (quatrorze films) qu’elle s’aventure en 1961 pour sa cinquième et avant-dernière réalisation. Le film se veut étude sociologique et s’attache à décrire les conséquences de la loi abolissant les maisons closes. Il faut d’ailleurs signaler que c’est la polémique suscitée par la dernier film de Mizoguchi, La Rue de la honte (1956), qui fut à l’origine de cette loi.
Onna bakari no yoru (La nuit des femmes ou La fille de la nuit) vise à faire le tour de la question en suivant le parcours de Kuniko (Hisako Hara), ex-prostituée dont les tentatives de réinsertion sont l’occasion d’épisodes situées dans des milieux différents. Le constat, sans appel, est partout le même : dès que le passé de la jeune femme ressurgit, elle est perçue comme une menace et devient objet de suspicion, voire de haine.
Comique facile, cruauté à la limite de la complaisance (l’atroce scène de torture dans la chambrée des ouvrières de l’usine), sentimentalisme (le pur amour qui naît dans les serres de la pépinière) : Le scénario, écrit par Sumie Tanaka et Masako Yana, n’évite pas les clichés, notamment dans la description du centre correctionnel avec sa galerie de personnages bien proches de la caricature (la lesbienne qui se suicide) ou dans l’épisode de la boutique, lorsque l’héroïne, pour se venger des humiliations subies, décide de jouer le rôle qu’on attend d’elle en séduisant le patron en l’absence de son épouse.
Pourtant, le film sonne souvent juste grâce à une mise en scène à la fois discrète et précise qui évite de surenchérir sur les effets faciles auxquels recourt trop souvent le scénario. Kinuyo Tanaka sait accorder un regard attentif à ses interprètes, surtout féminines, leur permettant de donner toutes leurs chances aux personnages les plus convenus et de trouver leur vérité.
Guest stars (Chikage Awashima en directrice du centre ou Kyôko Kagawa en propriétaire de la pépinière), actrices de composition confirmées (Sadako Sawamura) ou jeunes débutantes, elles sont toutes remarquables.
Malgré ses faiblesses d’écriture Onna bakari no yoru démontre que Tanaka n’était pas seulement une immense actrice mais aussi une cinéaste d’envergure.
Claude Rieffel, A voir A lire