Bigamie
La double vie d’un homme dévoilée, lorsqu’il s’engage dans une procédure d’adoption avec sa première femme.
Si le scénario de Collier Young adopte le point de vue du bigame, la mise en scène d’Ida Lupino – qui interprète également la deuxième épouse – livre une analyse nuancée des personnages. Edmond O’Brien incarne un homme fragile, d’une sensibilité rare dans le cinéma hollywoodien. Moins lâche que pris au piège de ses sentiments face à une Joan Fontaine à la froideur trompeuse.
Dans sa nudité accusatrice, le titre exhibe un crime moral : la bigamie. Bigre ! A Chicago, Harry et Eve veulent adopter un enfant et doivent en passer par une enquête approfondie sur leur vie privée. Les services sociaux découvrent alors que monsieur, voyageur de commerce, est déjà marié à Los Angeles, sous un nom différent, avec une femme qui vient d'accoucher d'un garçon ! Sur ce scénario écrit en lettres de feu, la réalisatrice et actrice Ida Lupino pose un regard d'une douceur conciliatrice. Une fois la faute établie, elle adopte le point de vue du coupable (joué par un acteur qu'elle aimait beaucoup, Edmund O'Brien). A travers Harry, se raconte la solitude d'un homme qui n'a rien d'un coureur. Délaissé par une femme surmenée, il a trouvé un éclat de soleil auprès d'une autre, qui n'est pas une croque-maris mais un coeur brisé (Ida Lupino l'interprète elle-même avec tact). Le tendre piège des sentiments se referme sur ces personnages vulnérables, et sur la compagne légitime, qui retrouve toute l'affection dont elle vibre (Joan Fontaine, formidable elle aussi). Proche du mélodrame, le film ne cède pourtant jamais à la mièvrerie et, dans une fine étude du couple, touche du doigt l'utopie d'un amour protecteur offert à deux épouses...
Frédéric Strauss, Télérama