Sorcerer
Un Français, un Américain et un Palestinien en exil travaillent sur une exploitation pétrolière en Amérique du Sud. Un jour, un pipeline prend feu à quelques centaines de kilomètres. Une importante somme d’argent est alors promise aux hommes qui se porteront volontaires pour y convoyer de la nitroglycérine destinée à limiter les dégâts. Si les risques sont majeurs, l’appât du gain l’emporte sur la raison… Remake du Salaire de la peur, le chef-d’œuvre d’Henri-Georges Clouzot, Le Convoi de la peur met l’accent sur les raisons qui ont conduit les personnages principaux en Amérique du Sud, un aspect absent du roman originel et de la version française. Grâce à cet écart narratif, et à une mise en scène qui rend palpables la crasse, l’oppression et le désespoir, Friedkin parvient à sonder les tréfonds de l’âme humaine.
Pourquoi Le convoi de la peur est le plus beau film de William Friedkin
En 1977, Friedkin signe Sorcerer, remake du Salaire de la peur, l'un de ses plus grands films. Un tournage hallucinant dans la jungle dominicaine, un bide monumental face à La Guerre des étoiles. Un livre de Samuel Blumenfeld raconte cette aventure hors normes.
C'est la même authenticité documentaire des lieux qui transpire, c'est le mot, dans toute la partie amazonienne (même si le film est tourné en république dominicaine). Le film est tourné dans un véritable village, avec ses habitants comme figurants ou seconds rôles, puis dans une vraie jungle, avec toutes les difficultés que celà pouvait entraîner en termes logistiques et financiers et en risques physiques. Friedkin tenait à un certain réalisme et refusait trucages et effets spéciaux. Même la grande séquence du pont de singe fut tournée sur une véritable passerelle branlante. Les camions étaient certes attachés par des câbles pour ne pas chuter dans la rivière mais c'est tout : le reste, l'instabilité et l'étroitesse du pont, le franchissement des camions, est authentique.
Entre Coppola, Herzog et Tintin
Le livre de Blumenfeld raconte tout celà dans le détail, à partir d'entretiens avec les principaux protagonistes du film, à commencer par Friedkin bien sûr, mais aussi le scénariste Walon Green, l'assistant-réalisateur Mark Johnson, la fille du comédien Amidou. Il détaille le chemin du casting, aussi tortueux que les sentiers de la jungle : le film était prévu pour Steve McQueen, mais celui-ci finissant par décliner, il fut remplacé par Roy Scheider, très bon comédien mais tout sauf une star bankable. A ses côtés, une bande d'excellents acteurs européens (Bruno Cremer qui remplaçait Lino Ventura, Francisco Rabal et Amidou) mais totalement inconnus aux Etats-Unis. Casting qui participe de l'intensité du film et de sa dimension existentielle mais a sans doute contribué à son échec commercial. Aucun studio d'aujourd'hui ne lancerait une production coûteuse avec pareille distribution. Blumenfeld raconte aussi comment s'opéra le choix de la république dominicaine dont une partie était quasiment la propriété de la Gulf & Western, la multinationale pétrolière qui possédait le studio Paramount, producteur du film. Friedkin et ses collaborateurs ont aussi rencontré les autorités de cette république dominicaine qui n'avait de "république" que le nom : un dictateur grabataire potiche, un "vizir" patibulaire se baladant avec une mitraillette en bandoulière et faisant la pluie et le beau temps à la place du "calife", tel un général Alcazar réel. Des scènes à la fois inquiétantes et cocasses qui évoquent des aventures de Tintin comme L'Oreille cassée ou les Picaros. Ce récit romanesque et savoureux est complété par une belle iconographie dispensant photos inédites, dessins, pages de scénario annotées, correspondance...
(...) Trip parfois halluciné, aux confins de la vie et de la mort, du suicide ou de la renaissance, évoquant aussi bien le Aguirre d'Herzog que l'Apocalypse now de Coppola, Sorcerer est à (re)découvrir absolument. Comme il est recommandé de lire l'ouvrage de Blumenfeld qui rend justice à ce film d'une autre époque, d'une autre étoffe.
Serge Kaganski, Les Inrocks