Nommé à l’Oscar, ce "petit" film polonais nous confronte à l’éternel combat du Bien et du Mal, lorsqu’un charismatique délinquant s’improvise prêtre.
Dans le local impersonnel avec néons, bourré de jeunes détenus comme lui, Daniel attend avec une certaine fièvre. Et pour cause, c’est l’heure de… la messe. Quand le père Thomas fait son entrée, les autres baissent la tête, mais Daniel lève la sienne, et ses yeux s’illuminent, car il va servir d’assistant. Quand il quitte le foyer quelques semaines plus tard, Daniel doit abandonner ses rêves: avec son passé de délinquant marqué par l’homicide, il ne sera jamais prêtre, qu’importe la force de sa foi. Daniel fait la fête à Varsovie, puis part sur les routes. Dans un petit village, une église. Une jeune fille lui demande ce qu’il fait là. "Je suis prêtre", répond Daniel par bravade. Et c’est ainsi que tout commence… Un acteur exceptionnel, une histoire vraie magnifiée, un style visuel très intense, et des thèmes christiques éternels: tout ici est réuni pour accoucher d’un grand film. Commençons par l’acteur. Bartosz Bielenia a aujourd’hui 28 ans. À Varsovie, les amateurs de théâtre le connaissent depuis longtemps. À 17 ans, il triomphait dans la version dramatique de "L’idiot" de Dostoïevski. C’est à présent au reste du monde de découvrir son profil acéré, son regard turquoise, et l’insupportable force de ses silences. Il offre son corps au rôle pour accomplir le miracle de la transcendance – celle de la transsubstantiation… par le jeu. En parallèle, le personnage de Daniel ne se contentera pas d’usurper la fonction: il se donne corps et âme à la communauté villageoise – traumatisée par un récent drame de la route – et opère en son sein un véritable renouveau charismatique.
C’est une histoire vraie. Chaque année de nombreux cas sont avérés de personnes non patentées qui célèbrent le culte. Mais ici, grâce au symbole du passé délinquant ajouté par le scénariste, la démarche prend une dimension magnifique. L’église déserte va se remplir devant la parole vraie, maladroite, hésitante, mais réellement chargée de Daniel. Qui n’hésitera pas à confronter les silences qui gangrènent la vie du village, ni à parler aux jeunes rebelles du coin qui le prennent de haut, ni à tendre la joue, ni à affronter le(s) démon(s) sur sa route. C’est là que le film prend toute sa dimension: en creux il questionne très intensément notre foi (pour ceux qui en sont pourvu), et plus largement le code moral judéo-chrétien qui fonde toute notre société occidentale. Où est la pureté? Comment rencontre-t-on sa vraie nature? Le mensonge est-il un bien s’il sert à mettre à bas Satan dans sa forme la plus laide et la plus quotidienne, celle de toutes nos petites compromissions?
Pour servir son propos, le réalisateur Jan Komasa a développé un style très pur, des plans fixes (sauf quelques-uns) qui servent le décor, à la fois bucolique et glaçant, d’un petit village du sud de la Pologne. Le vert et le bleu prédominent, avec une volonté marquée d’utiliser la symétrie et les plongées, pour nous immerger dans une esthétique chrétienne. Le film aurait pu voir sa riche carrière en festival couronnée par l’Oscar du Meilleur Film International l’année dernière, mais il devra se contenter d’une nomination. Les voies du Ciel sont impénétrables.
Sylvestre Sbille, lecho.be (06/10/2020)