La Vengeance aux deux visages

De Marlon Brando
Etats-Unis - 1961 - vost - 141' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Sonora, un village mexicain, en 1880. Rio et Dad Long­worth pillent la banque locale et fuient, poursuivis par les Rurales. Le cheval de Rio est atteint par une balle, et Dad poursuit sa route après avoir promis à Rio de revenir avec une autre monture. Mais il ne tient pas sa parole...

Critique
L’unique film réalisé par la star, en 1961, ressort en salles. Un western maudit, mutilé, mais fascinant.

Sam Peckinpah et Stanley Kubrick renvoyés du projet. Un budget initial (environ 2 millions de dollars) multiplié par trois. Un montage final de presque cinq heures réduit de moitié par la Paramount... Malgré son tournage épique, La vengeance aux deux visages, l’unique film réalisé par Marlon Brando en 1961 reste une œuvre singulière, le chaînon manquant entre les westerns psychologiques des années 1950 et ceux, crépusculaires, de Peckinpah. La star incarne Rio, braqueur de banques trahi par son complice Dad Longworth (Karl Malden). Après cinq ans de prison, il s’évade et se met à la recherche de Longworth, reconverti en shérif dans une ville californienne. Trois raisons de (re)découvrir ce western maudit, qui ressort en salles. 

Pour le scénario, moderne

Première surprise : contrairement au récit de vengeance traditionnel (où le héros affronte son ennemi à la fin), Rio retrouve rapidement Longworth. S’ensuit un round d’observation entre les deux adversaires, à coups de mensonges et de bluffs – suspense d’autant plus réjouissant que le spectateur connaît, lui, les intentions de chacun. La grande modernité du film est de se composer majoritairement de scènes d’« attente » où le temps semble se dilater (la fête à Monterey, le repos au village des pêcheurs), ponctuées d’éclats de violence et tendues vers le règlement de comptes final. Certaines séquences préfigurent même le western spaghetti : l’un des personnages se cure les dents avec les ongles, un autre mange (salement) une pastèque tandis que Brando se fait fouetter au sang.

Autre singularité : La Vengeance aux deux visages est un western introspectif, voire œdipien. Non seulement Longworth et Rio ont une double personnalité, mais le premier, qui s’appelle Dad (« Papa »), fait subir au second toutes sortes d’humiliations : emprisonnement, coups de fouet, écrasement de la main droite (l’équivalent d’une castration chez le cow-boy). Et le scénario devient particulièrement retors quand il décrit la relation entre Rio et Louisa, la fille de Longworth : amour, instrumentalisation ou les deux à la fois ?

Pour le casting, solide

Dans La Vengeance aux deux visages, ce n’est pas encore le Marlon Brando mégalo qui se déguisera en grand-mère dans Missouri Breaks (Arthur Penn, 1976). Ici, l’intensité du comédien est remarquable : il faut le voir, au fil de l’intrigue, passer du sourire pervers (sur le perron de Longworth) au visage crispé (sur la plage, en compagnie de Louisa) qui reflète à merveille ses tourments intérieurs. A ses côtés, Karl Malden (« un Américain au gros nez », dixit Rio) réussit à être veule et humain à la fois. Et les seconds rôles parviennent, en quelques scènes seulement, à composer des personnages ambigus ou lâches : Ben Johnson, acteur marquant chez John Ford (La Charge héroïque, Les Cheyennes) puis chez Sam Peckinpah (Major Dundee, La Horde sauvage), et Slim Pickens, lui aussi acteur fétiche du réalisateur de Pat Garrett et Billy The Kid.

Pour les décors, romantiques

L’originalité de ce western est de se situer à Monterey, en Californie, au bord du Pacifique : un décor romantique, où se déroulent les conversations intimes entre Rio et Louisa (superbes scènes, magnifiées par la photographie de Charles Lang). Si le film distille une telle mélancolie (à l’instar des westerns crépusculaires, toutes proportions gardées), c’est qu’il montre un héros au bout de sa quête obsessionnelle de vengeance (que faire ensuite ?) et, plus largement, des cow-boys arrivés à la fin du territoire, n’ayant plus rien à conquérir (d’où la reconversion de Longworth en shérif endimanché).  Des héros à cheval hors de leur environnement – « Vire ton poisson pourri ! », lance Ben Johnson à un pêcheur. L'océan, en somme, comme cul-de-sac. 

Nicolas Didier, Télérama

Projeté dans le cadre de

6 Octobre 2019
La vengeance aux deux visages