Sidewalk Stories

De Charles Lane
USA - 1989 - vost - 98' - Noir et Blanc - Numérique
Synopsis

New York, 1989. Témoin du meurtre du père d'une fillette, un artiste de rue décide de s'occuper de l'enfant. Lors d'aventures ou de mésaventures variées, ils rencontrent une jeune femme.

Critique

Drôle de pépite que Sidewalk Stories, conte moral, hommage au cinéma de Chaplin et radioscopie sans concession de l’envers peu glorieux du rêve américain : une pauvreté invisible et indicible, à laquelle le réalisateur va se charger de donner un visage et, paradoxalement… une voix. En 1989, vingt ans avant The Artist, Charles Lane, alors jeune réalisateur de 26 ans, prend le pari fou de tourner en deux semaines, dans les rues de New York enneigées en plein mois de février, un film muet, en noir et blanc, sans même un intertitre. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 1989, Sidewalk Stories est rapidement tombé dans l’oubli.

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Paradoxe troublant, qui fait la singularité de la démarche de Lane : faire silence pour donner à entendre, que s’estompe le bruit de la rue et qu’y surgissent des voix devenues inaudibles ; user de la fiction, d’un équilibre toujours délicatement maintenu entre tendresse et humour, pour apprendre à voir, éduquer l’œil, le guider jusqu’à une réalité devant laquelle il passe souvent sans s’arrêter. Au centre du récit, un jeune artiste de rue sans le sou, joué par Charles Lane lui-même, recueille une petite fille dont le père vient d’être assassiné, et essaie tant bien que mal de s’occuper d’elle. Si la trame narrative est une citation littérale de Chaplin, le film joue d’un va-et-vient permanent entre l’hommage au cinéma muet et des codes esthétiques qui inscrivent l’œuvre dans son temps de tournage. À des séquences burlesques (l’artiste joué par Lane se fait malmener par un caricaturiste plus âgé… qui fait pratiquement le double de sa taille ; un après-midi au bac à sable se transforme en entrainement de boxe, dans une séquence qui convoque assez littéralement le Kid) succèdent des plans quasi-documentaires : lorsque le personnage joué par Charles Lane voit l’immeuble qu’il squattait détruit, et cherche dans les rues et les couloirs du métro un abri pour passer la nuit, la fiction s’efface pour laisser place à un monde que le cinéaste saisit soudain d’un geste frontal.

Dans un dédale de rues, de référents filmiques qui s’entrechoquent, Charles Lane guide le regard jusqu’à cet instant où l’innocence s’achève. Un grand silence, et puis soudain, le son, et quelques mots articulés. Au creux de la nuit, le film se clôt sur une succession de portraits sonores, sans-abris filmés au vol dans les rues de New York. Aux reproches qu’on lui fit au sujet de cette fin à la sortie du film, Charles Lane répondit qu’il n’avait pas le souhait de plaire. Pour ne pas laisser poindre, au bout de la fiction, la tentation d’y voir le monde et de s’y trouver confortable.

Ariane Prunet, Critikat

Projeté dans le cadre de

Du 21 Août 2019 au 10 Septembre 2019