Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?
En 1920, «Baby Jane» Hudson est une enfant prodige, l'idole de l'Amérique, une star du cinéma muet qui fait vivre toute sa famille. Blanche, sa soeur, une fillette timide et réservée, reste dans l'ombre. Mais le talent de Jane disparaît avec l'adolescence et c'est sa soeur, Blanche, qui prend sa revanche en devenant à l'âge adulte une grande actrice. Et, plus impardonnable encore, elle profite de son crédit pour assurer une carrière honorable à «Baby Jane», qui noie son dépit et sa rancoeur dans l'alcool et la débauche. Bien plus tard, Jane se venge monstrueusement en séquestrant Blanche, infirme à la suite d'un terrible accident...
Lorsque le film est présenté en 1963 au Festival de Cannes, c’est la curée. Outrance, mauvais goût, misogynie, grand-guignol, tout y passe. Pourtant, par-delà le malaise que dégage ce face-à-face paroxystique, Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? est une œuvre grandiose et cruelle, totalement atypique dans l’histoire du cinéma. Le noir et blanc contrasté, les ombres appuyées, le jeu outrancier (mais génial) des deux actrices (qui se détestaient cordialement dans la vie (1) ) l’enveloppent d’une inquiétante atmosphère expressionniste. Le meurtre de la domestique noire vu par Jane à travers les yeux de Blanche immobilisée sur son siège, ou encore Jane, hideuse dans sa robe enfantine, chantant et dansant sur la plage : autant de morceaux de bravoure hallucinants, dégoulinant de rancœur sadique. Continuellement sur le fil du rasoir, Robert Aldrich filme au plus près les rapports exacerbés des deux femmes : la douce Joan Crawford, pathétique, et la monstrueuse Bette Davis, le visage déformé par la haine. Mais lorsqu’il plonge dans leur passé trouble, il révèle des relations plus ambiguës et moins manichéennes qu’il n’y paraît.
Gérard Oury, Télérama