L'Homme qui a perdu son ombre

De Alain Tanner
France, Espagne, Suisse - 1991 - vost - 102' - Couleurs - 35mm
Synopsis

Antonio, vieux communiste andalou, retourne au pays apres un long exil en France, accueille chez lui Paul, en rupture de ban, qui vient de se faire mettre a la porte du journal ou il travaillait.

Critique

Antonio, le vieil homme (Francisco Rabal) écoute Paul, son jeune ami (Dominic Gould), qui l’a rejoint dans son café du bout du monde, à Cabo de Gata dans la rude Andalousie, puis il lui dit : « Tu aimes tout, mais tu ne crois plus en rien […] Quand on ne sait plus pourquoi on fait les choses, on est comme l’homme qui a perdu son ombre. » Le premier motif du film est la confrontation du père et du fils, du maître et de l’élève, mais à la différence de La Vallée fantôme où le doute et la perte de confiance étaient chez le plus vieux, l’homme en crise est ici le jeune. Persuadé que le monde court à sa perte, que la fin de l’Histoire est arrivée – le film est contemporain de la chute du communisme en Europe de l’Est –, Paul a déserté le domicile conjugal parisien pour s’exiler et trouver dans la solitude et auprès d’Antonio les réponses qui lui manquent. Jalonnant le film, les longs plans de Paul à moto, casqué, anonyme, traversant des paysages quasi lunaires, illustrent ce rêve de solitude, cet exil choisi qui est le trait de tant de personnages de Tanner. Ce qui marque d’ailleurs cette première partie du film, au-delà de la fuite de Paul, c’est la proximité du cinéaste avec le lieu de son film. Comme Lisbonne, la ville blanche, Cabo de Gata offre à Tanner une matière physique qu’il saisit au plus près : le vent qui souffle dans les ruelles, le sable qui se soulève, sans oublier l’ambiance du café, désert au petit matin ou bondé en soirée, les moments musicaux ; « ces sensations et respirations d’espaces s’engouffrent dans les plans et leur insufflent une amplitude bénéfique et apaisante, qui laisse un goût de vent et de sel sur la peau ». Mais le film n’est pas un récit de solitude, plutôt le contraire : la fiancée de Paul et son ex ne tardent pas à le débusquer et à s’opposer à ses certitudes de penseur reclus et pessimiste, son égoïsme et son bavardage complaisant. Le mouvement s’inverse alors, le duo père / fils laissant la place à un marivaudage à trois ; quant aux réflexions sur la fin du monde, elles sont vite recouvertes par un règlement de comptes plutôt réjouissant sur les désirs contraires du masculin et du féminin. Comme si, le temps d’un film, Tanner croisait Rohmer. La tristesse revient à la fin avec la mort d’Antonio, comme le tomber de rideau d’un film assez théâtral. « El espectaculo se acabo », dit-il dans son dernier souffle : « Le spectacle est terminé. »

Frédéric Blas, Alain Tanner - Ciné-Mélanges