Les Brasiers de la Colère

De Scott Cooper
Etats-Unis, Royaume-Uni - 2013 - vost - 116'
Synopsis

À Braddock, une banlieue ouvrière américaine, la seule chose dont on hérite de ses parents, c’est la misère. Comme son père, Russell Baze travaille à l’usine, mais son jeune frère Rodney a préféré s’engager dans l’armée, en espérant s’en sortir mieux. Pourtant, après quatre missions difficiles en Irak, Rodney revient brisé émotionnellement et physiquement. Lorsqu’un sale coup envoie Russell en prison, son frère cadet tente de survivre en pariant aux courses et en se vendant dans des combats de boxe...

LA FICHE DU FILM CHEZ VOUS

ARTICLE DE LA TRIBUNE, PASCAL GAVILLET

Critique

Fini. Il n'y a plus de place, pour eux, dans cette Amérique des années 2000 où sévit la crise. Russell (Christian Bale) travaille encore dans l'aciérie moribonde où son père s'est tué au travail. Ce qu'a toujours refusé son frère. Rodney (Casey Affleck) a été blessé en Irak, d'où il est revenu moralement mort, dans l'indifférence générale. Pour rembourser ses dettes de jeu, il enchaîne, désormais, des combats à main nue, souvent truqués. Il les gagne en dépit des combines, au risque de provoquer la colère des commanditaires. Lorsqu'il disparaît, Russell, peu confiant dans l'efficacité de la police, décide de mener son enquête.

L'un des grands thèmes du cinéma américain a toujours été la solidarité du clan (la famille, qu'elle soit honnête ou pas) face aux excès du pouvoir. Mais il est loin le temps où Frank Capra envoyait son Monsieur Smith au Sénat pour défendre les libertés de l'individu. Scott Cooper (réalisateur du très fêté Crazy Heart) filme l'Amérique des pauvres, brisée par la mondialisation. Un pays exsangue où la crise et l'incapacité de l'Etat à la gérer créent des zones de non-droit où règne la sauvagerie.

Le réalisateur a le goût des scénarios bien charpentés, des mises en scène solides et des acteurs à l'ancienne : Christian Bale a la virilité rassurante d'un Burt Lancaster, et Casey Affleck la fébrilité d'un Montgomery Clift — tous deux sont remarquables. Mais la vraie passion de Scott Cooper est Michael Cimino. Sa petite ville du fin fond de la Pennsylvanie ressemble, en plus dévastée, à celle du Voyage au bout de l'enfer. A un moment, Christian Bale, parti chasser, vise longuement un cerf qu'il laisse d'abord fuir, exactement comme Robert De Niro jadis.

Ce qui le rapproche encore de Cimino — de la morale de La Porte du paradis, en tout cas —, c'est la certitude que l'Amérique, fondée sur la violence, y replonge fatalement. C'est, pour elle, un aimant, une drogue, une raison d'être. Elle coule dans ses veines. Elle est inscrite dans son ADN. Dès le prologue, sidérant de brutalité, règne le tyranneau funeste qu'interprète, avec sa démesure coutumière, Woody Harrelson. Sur ses mains, il n'a pas fait tatouer Love et Hate — trop inculte pour ça ! —, mais Fuck et You, ce qui le résume mieux. Il est l'âme noire de ce conte sans pardon, où Scott Cooper prouve que, s'il n'a pas encore l'élégance de son modèle, il en a déjà la férocité.

Pierre Murat, Télérama