Sur la route

De Walter Salles
France, Etats-Unis, Brésil, Royaume-Uni - 2012 - vost - 124'
Synopsis

Adaptation du roman de Jack Kerouac.

Au lendemain de la mort de son père, Sal Paradise, écrivain new-yorkais débutant, rencontre Dean Moriarty, jeune voyou dangereusement séduisant. Ils accrochent immédiatement.Déterminés à ne pas se laisser piéger dans une vie médiocre, Sal et Dean prennent la route :assoiffés de liberté, ils découvrent le monde et partent à la rencontre des autres et d'eux-mêmes.

Critique

On l’oublie souvent, le choix des bons acteurs fait déjà la moitié de la réussite d’un film. Mais on a trop longtemps sous-estimé Walter Salles pour ne pas lui rendre ici un hommage appuyé. En sillonnant les Etats-Unis et le Canada sur les traces de Kerouac, le Brésilien, qui avait découvert ce bréviaire d’une génération à Rio à 18 ans, a su retrouver une Amérique qu’on ne voit plus à l’écran: belle, rude, physique. Il parvient à communiquer le goût de la route, du voyage et des expériences nouvelles à une époque encore relativement innocente, mais sans pour autant édulcorer le sexe, la pauvreté, l’usure. Et puis, pas de «beat» sans pulsation. Avec sa bande-son jazz blues de haut vol, subtilement liée par Gustavo Santaolalla et qui se confond à un montage virtuose, avec ses nombreuses citations de Kerouac et Ginsberg, le film restitue vraiment les rythmes et les sonorités de ce temps. Un temps pourtant perdu avec les autoroutes de goudron et de l’information.

Quant au temps qui s’écoule à l’écran, certains le trouveront sans doute un peu long, jugeront ces va-et-vient sans but bien vains. Pourtant, c’est justement dans sa gestion de la durée que le film trouve son sens. Ici, la quête «beat» de la liberté et de l’incandescence est restituée, avec le prix à en payer: à savoir, sa part d’ennui(s) et d’épuisement, mais surtout l’heure des regrets, des choix et des adieux – ce qui n’ira pas sans une profonde mélancolie.

Cinquante-cinq ans après la parution du livre de Jack Kerouac, trente-trois après l’acquisition des droits par Francis Ford Coppola, et huit après que Walter Salles s’engage sur le projet, voici enfin On the Road – le film. Joie. A moins d’un authentique film «beat» réalisé à l’époque, c’est ce qui pouvait arriver de mieux. Après leurs Carnets de route, road movie historique sur les traces du jeune Ernesto «Che» Guevara, le cinéaste brésilien et son scénariste, le Portoricain José Rivera, se sont imposés comme les hommes de la situation. De leur part, on pouvait craindre une certaine méconnaissance des Etats-Unis. A l’arrivée, on a l’impression qu’ils ont au contraire réalisé un film d’autant plus authentiquement américain.

Ecrit quasiment d’une traite, sans véritables début, milieu ou fin, le roman était réputé inadaptable? Le recul d’un demi-siècle aura offert la solution. Au lieu d’une stricte adaptation du roman, c’est devenu un habile condensé, enrichi par la version non expurgée publiée en 2007, et par toute l’historiographie «beat». Au lieu du livre d’un jeune écrivain qui relate ses aventures, animé par un souci d’immédiateté, nous voilà devant le film d’un ex-jeune cinéaste qui possède le recul nécessaire pour en extraire tout le sens avec les atouts propres à son médium: l’incarnation et le temps.

Le casting? Idéal. Quand le projet a été retardé de deux ans, tous ont tenu bon. Garrett Hedlund campe un Dean Moriarty/Neal Cassady d’une frénésie solaire et donne l’impression de se consumer devant nos yeux. En face, l’Anglais Sam Riley est Sal Paradise/Jack Kerouac avec toute la réticence admirative qu’on lui imagine, et son compatriote Tom Sturridge habite l’exalté Carlo Marx/Allen Ginsberg. Oubliés, les acteurs découverts respectivement dans Tron, Control et The Boat That Rocked! Ils jouent des mythes, le film en refait des potes. Quant à Kristen Stewart (Marylou), bien loin de son héroïne du soap opera Twilight, elle redevient la fille libre et paumée d’Into the Wild et de Welcome to the Rileys. Ajoutez à cela une Kirsten Dunst (Camille) superbement dépressive et Viggo Mortensen, impayable en Old Bull Lee/William Burroughs, supérieurement intelligent et totalement fumeux.

Comme Kerouac avant lui, Walter Salles rend l’irresponsabilité de Dean terriblement attrayante, en s’arrangeant toutefois pour que nous n’en soyons jamais vraiment dupes. Mais ce n’est pas amoindrir l’élan hédoniste de cette jeunesse que d’y deviner le rôle des pères absents; doucher la fête que de montrer que, dans les rapports humains, trois est un nombre instable; trahir l’expérience «beat» que de conclure que, si Dieu est mort, seul l’art est en mesure de donner du sens à l’existence. Plaisir de tous les instants, le film de Walter Salles permet de voir loin, dans l’espace et dans le temps, mais aussi dans nos âmes et dans nos cœurs. Quoi de plus actuel?

Norbert Creutz, Le Temps

 

Projeté dans le cadre de

Du 4 Juin 2014 au 20 Juin 2014