Quai D'Orsay

De Bertrand Tavernier
France - 2013 - vf - 113'
Synopsis

Alexandre Taillard de Vorms est grand, magnifique, un homme plein de panache qui plait aux femmes et est accessoirement ministre des Affaires Étrangères du pays des Lumières : la France. Sa crinière argentée posée sur son corps d’athlète légèrement halé est partout, de la tribune des Nations Unies à New-York jusque dans la poudrière de l’Oubanga. Là, il y apostrophe les puissants et invoque les plus grands esprits afin de ramener la paix, calmer les nerveux de la gâchette et justifier son aura de futur prix Nobel de la paix cosmique. Alexandre Taillard de Vorms est un esprit puissant, guerroyant avec l’appui de la Sainte Trinité des concepts diplomatiques : légitimité, lucidité et efficacité. Il y pourfend les néoconservateurs américains, les russes corrompus et les chinois cupides. Le monde a beau ne pas mériter la grandeur d’âme de la France, son art se sent à l’étroit enfermé dans l’hexagone. Le jeune Arthur Vlaminck, jeune diplômé de l’ENA, est embauché en tant que chargé du “langage” au ministère des Affaires Étrangères. En clair, il doit écrire les discours du ministre ! Mais encore faut-il apprendre à composer avec la susceptibilité et l’entourage du prince, se faire une place entre le directeur de cabinet et les conseillers qui gravitent dans un Quai d’Orsay où le stress, l’ambition et les coups fourrés ne sont pas rares... Alors qu’il entrevoit le destin du monde, il est menacé par l’inertie des technocrates.

Critique

ll aura donc fallu quarante ans pour que Bertrand Tavernier, 72 ans, réalise sa première comédie. Il y avait tout dans la bande dessinée à succès de Blain et Lanzac (de son vrai nom Antonin Baudry, « plume » de Dominique de Villepin entre 2002 et 2004) pour inspirer ce cinéaste passionné de politique et d'histoire, et qui a toujours aimé filmer les gens au travail (L.627, Ça commence aujourd'hui). Le ministère des Affaires étrangères, cette ruche avec ses couloirs sans fin, ses codes, son jargon diplomatique — ou pas —, ses conseillers qui bossent jour et nuit pour préserver l'équilibre du monde : dans ce huis clos en or (de la République), Tavernier orchestre un vaudeville malicieux, juvénile, incroyablement rythmé, où monsieur le ministre fait claquer les portes comme personne.

Ce n'est pas Occupe-toi d'Amélie !, mais « occupons-nous d'Alexandre ! » : Alexandre Taillard de Worms, bel homme à la crinière argentée, bouillonne, brasse du vent et souligne au Stabilo jaune les grands auteurs qui lui semblent signifiants. Dans la peau de ce Villepin pour rire, Thierry Lhermitte, bluffant, rappelle les meilleurs comédiens burlesques de l'âge d'or hollywoodien. Pendant qu'il gesticule, les membres de son cabinet s'occupent vraiment des dossiers. Quitte à louper le déjeuner, au grand dam du conseiller pour le Moyen-Orient (savoureux Bruno Raffaelli), ou à faire de surprenantes microsiestes, comme Maupas, le chef de cabinet. Dans le registre doux du gros chat épuisé qui en a vu d'autres, Niels Arestrup, à contre-emploi total de ses rôles habituels, est hilarant. De quoi ébahir le jeune Arthur Vlaminck (Raphaël Personnaz, parfait ingénu de comédie), fraîchement enrôlé par le ministre pour faire « du langage » : écrire ses discours et apprendre à caser des citations d'Héraclite dans une intervention sur... la guerre du hareng ! Un ministère, nous souffle le cinéaste, moqueur mais jamais méprisant, ce devrait être comme une bonne troupe d'acteurs : beaucoup de talents conjugués, même si, au final, c'est la vedette qu'on applaudit à l'ONU. Le ministre, en effet, finit par prouver sa grandeur dans un discours éclatant. Pour Tavernier, le jeu politique en vaut toujours la chandelle.

Guillemette Odicino

Projeté dans le cadre de

Du 16 Mars 2015 au 11 Mai 2015
2ème cycle