Burn After Reading

De Joel et Ethan Coen
Etats-Unis - 2008 - vost - 96'
Synopsis

Osborne Cox, analyste à la CIA, est viré. De retour chez lui, il décide d'écrire ses mémoires et de noyer son ennui dans l'alcool. Dans une banlieue de Washington, Linda Ltzke, employée d'un club de fitness, se languit en attendant la grosse opération de chirurgie esthétique qu'elle souhaite subir. Elle laisse son collègue Chad Feldheimer faire son travail à sa place. Or le CD contenant des informations destinées au liovre de Cox tombe accidentellement entre les mains de Linda et Chad. Tous deux décident de tirer parti de cette aubaine. S'ensuit une série de rencontres aussi dangereuses qu'hilarantes.

Critique

Une comédie d’espionnage stylée et hilarante, au casting royal. Mention à Bratt Pitt, génial en coach sportif pas fute-fute.

Petit Coen”, avait-on cru lire dans la plupart des rapports vénitiens de la dernière Mostra, et on n’était pas loin d’y entendre “petits cons”. Mais tout est relatif, un “petit Coen”, c’est comme un “petit Woody”, toujours mille fois meilleur qu’un “immense Machin Bidule”.
Certes, après le sublime et désespéré No Country for Old Men, ce Burn after Reading peut faire figure d’aimable récréation. Mais quelle verve dans l’écriture ! Quelle précision dans la mise en scène ! Quel talent comique chez les acteurs, pourtant pas tous réputés ici pour leur veine humoristique ! Regardez comme Brad Pitt s’amuse et nous amuse en grand gamin pas fute-fute qui se pique de défier les services secrets. Et Tilda Swinton, en superbourgeoise plus bitchy t’es une mante religieuse – quelle rigolade ! Quel plaisir de cinéma, même s’il s’évente plus vite après la séance que le puissant western au noir précédent.
Viré de la CIA, un agent de haut rang décide d’écrire ses mémoires à charge, façon carnets secrets du capitaine Barril. Mais sa collaboratrice perd la disquette de ses brouillons dans un club de gym et le document tombe entre les mains de profs d’aérobic naïfs qui pensent tenir là le moyen de booster leur morne condition. Dès lors, c’est une ronde de quiproquos et de malentendus, une spirale incontrôlable où chacun se méprend sur l’autre, un petit chaos qui engloutit tous les protagonistes. Difficile à résumer, mais vous avez déjà connu ce genre de mécanique scénaristique drolatique et nihiliste dans Sang pour sang, Fargo ou The Big Lebowski. Constantes de tous ces films : des personnages au pire stupides, au mieux victimes des conséquences hautement imprévisibles et rocambolesques de leurs actes.
On entend les réserves habituellement formulées contre ce cinéma : trop vain, dépourvu de sens, caricatural, méprisant de haut une humanité réduite à des marionnettes plus ou moins grotesques. Certes… Mais les frères Coen ne prétendent pas brosser un tableau réaliste du monde ou signer un documentaire sur la condition humaine. Leurs personnages ne sont pas censés être plus complexes ou approfondis que, disons, le loup de Tex Avery, le Picsou de Disney ou le Hulot de Tati : ce sont des archétypes, aux traits volontairement grossis sans tromper le public sur la marchandise, appartenant à un genre particulier, la farce.
On dit que les Coen se montrent plus intelligents que leurs personnages, mais si on regarde bien, les protagonistes de Burn after Reading ont aussi des qualités que l’on peut voir comme attendrissantes ou respectables : la naïveté enfantine de Brad Pitt, la volonté de fer de Frances McDormand d’échapper à sa condition, la révolte de Malkovich contre une épouse dominatrice et une institution corrompue…
Ils ne sont pas nécessairement victimes de leur bêtise, mais d’enchaînements de cause à effet qui leur échappent, tout simplement parce que même la personne la plus intelligente du monde ne saurait tout contrôler. Il suffit d’ailleurs de penser aux scènes du film où interviennent les plus hauts responsables de la CIA. Non seulement elles sont les moments les plus hilarants que l’on ait vus au cinéma récemment, mais ces cadors du renseignement font figure de premiers spectateurs ou de premiers critiques du scénario invraisemblable qui se déroule sous nos yeux et sous les leurs. Or, ces professionnels de l’intelligence ne comprennent rien à rien ! C’est à se tordre de rire… et d’angoisse.
Cela procède d’un comique nonsensique typiquement coenien, mais cela renvoie aussi à notre réalité présente. C’est quoi, la crise financière ? Une crise de l’intelligence, celle d’une sophistication mathématique qui mène au chaos planétaire, celle d’architectures financières tellement complexes que plus personne ne les comprend et ne les maîtrise. De ce point de vue, Burn after Reading est aussi un documentaire, un saisissant raccourci de notre monde contemporain.
Dans les petites mécaniques absurdes et létales des Coen, il y a toujours un filon philosophique, souterrain et modeste. Bêtes ou intelligents, ploucs ou cultivés, leurs personnages s’agitent, poursuivent des objectifs, tentent de donner ordre et sens à leur vie, et cela finit le plus souvent très mal. Il y a dans ce monde sans Dieu, sans repères stables, sans certitudes définitives hormis la mort, un pessimisme existentiel qui est peut-être une lucidité, d’autant plus cinglante qu’elle a pour cadre l’Amérique, son rêve et son permanent optimisme forcé. C’est tragique, mais les frères Coen préfèrent en rire. D’un rire grinçant certes, plein d’ironie noire, plus Kafka ou Cioran que Disney, mais formidablement efficace, contagieux et libérateur.
Serge Kaganski

Projeté dans le cadre de

Du 12 février 2014 au 6 Mars 2014