Intolérable Cruauté

De Joel Coen, Ethan Coen
Etats-Unis - 2003 - vost - 100'
Synopsis

Miles Massey, avocat excentrique, est devenu LE spécialiste des divorces. Riche et célèbre, Miles s'ennuie. On lui confie un cas qui va le sortir de sa torpeur. Il s'agit de Marylin Rexroth, future ex-femme d'un richissime investisseur immobilier pris en flagrant délit d'adultère. Miles réussit à déjouer les plans de la belle intrigante, qui comptait profiter de la vie et d'une belle pension. Décidée à se venger, la jeune femme épouse aussitôt un magnat du pétrole. Entre Miles et Marylin commence une guerre où tous les coups sont permis.

Critique

Une fable acérée Il sont face à face dans un restaurant. « Vous êtes carnivore ? » demande l'homme à celle qu'il a invitée. « Vous n'imaginez même pas à quel point ! » lui réplique-t-elle. Parce qu'ils sont beaux et irrésistibles, parce que leur vie respire le luxe, le calme, la volupté des grandes comédies américaines de jadis, on devine que ces deux-là vont se dévorer l'un l'autre. Se livrer, pour leur plaisir et le nôtre, à une guerre impitoyable et plaisante. C'est à qui séduira l'autre pour mieux le réduire. A néant. Miles Massey (George Clooney) est avocat. Marylin Rexroth (Catherine Zeta-Jones) est une aventurière. Il est très riche. Elle entend bien le devenir. Miles est célèbre pour avoir inventé le « contrat Massey », sorte d'assurance béton qui, en cas de divorce, permet au plus riche des deux de le rester. Marylin ne vit que pour s'emparer de la fortune des benêts qui auront commis la folie de l'épouser. Entre eux, la lutte est donc inévitable... Les frères Coen l'ont rendue aussi féroce que l'indique le titre. Pour une fois, ils n'ont fait que coécrire le scénario. Mais, de toute évidence, ils l'ont fait leur : on y retrouve leur cynisme froid, leur ironie mordante et leur regard acéré sur une société mi-cinglée, mi-débile. Passer de l'Amérique profonde (Arizona Jr, The Big Lebowski, O'Brother) à celle faussement classieuse du show-biz et des plaideurs n'a pas émoussé leur causticité. En fait, ce sont les mêmes bouseux qu'ils peignent. Des ploucs, englués non plus dans la cambrousse de Fargo, mais dans un Hollywood luxueux et vulgaire (vastes bureaux, immenses maisons à se flinguer de désespoir). Ou dans ce Las Vegas grotesque où l'on est amené à se marier en kilt, aux sons d'une cornemuse qui massacre un tube ringard de Simon and Garfunkel. Même les deux héros n'échappent pas totalement à leur verve destructrice : Marilyn est une bombe sexuelle, mais un rien, dans son allure, dans ses vêtements, révèle la poule de luxe qu'elle s'efforce de cacher tant bien que mal. Et Miles, charmant, viril, le successeur de Cary Grant (Clooney, splendide, le parodie avec jubilation) n'échappe pas, lui non plus, à la satire : beau et fier de l'être, il vérifie constamment, dans son miroir et même dans sa cuillère à soupe, la blancheur de sa denture. Autour d'eux, c'est un joyeux jeu de massacre, rendu encore plus insolent par son apparente suavité. Le fil conducteur de l'histoire, c'est le fameux « contrat Massey », que chacun signe et déchire à contretemps. Et, en guise de seconds rôles, un ramassis d'imbéciles et de faux derches : ce producteur à catogan qui trouve un réparateur de piscine dans le lit de sa femme. Ou ce milliardaire texan (Billy Bob Thornton dans un grandiose numéro de cabotin) qui organise une cérémonie folk pour ses noces ­ imprudentes ­ avec la belle Marilyn. En quelques traits, les Coen savent dessiner un personnage : l'associé de Miles, qui pleure toujours aux mariages. Joe le Siffleur, tueur suffisamment crétin pour confondre son inhalateur avec son revolver. L'inénarrable baron Krauss von Espy, qui, lors d'un procès presque digne des frères Marx, déjoue momentanément les projets de Marylin. Sans oublier l'apparition de la serveuse d'un troquet ­ héritière des grands seconds rôles d'autrefois, style Thelma Ritter. A un client qui lui demande une salade verte, elle bougonne : « Parce que vous en connaissez d'autres couleurs ? » Dialogues vifs, brillants, impertinents. Rythme sans faille. Au fur et à mesure des catastrophes qui s'accumulent et des pièges qui se referment ­ et jamais sur qui l'on croit ­, la sophistication se mue en folie douce à la Blake Edwards. Avec un couple de rêve ­ Catherine Zeta-Jones et, surtout, George Clooney ­, le duo Coen a rempli son pari : réussir un exercice de style avec style. Une comédie faussement lisse. Un séduisant cauchemar.
Marine Landrot

Projeté dans le cadre de

Du 12 février 2014 au 6 Mars 2014