Je n’avais que le néant - Shoah par Claude Lanzmann

De Guillaume Ribot
France - 2025 - vost - 94' - Couleurs - Numérique
Synopsis

La réalisation du film Shoah de Claude Lanzmann est une aventure en elle-même. Douze années de travail, des milliers d’heures de préparation, des voyages aux quatre coins du monde, des dizaines de témoins… et autant de doutes, de déboires, de fausses routes, mais aussi de moments de grâce douloureuse où la vérité apparaît. Grace aux 220 heures de rushes non utilisées au montage et aux mémoires de son auteur, Guillaume Ribot plonge au cœur de la production d’une œuvre majeure du cinéma, au plus près des obsessions de celui qui entreprit de faire émerger la vérité du néant.

Critique

"Shoah est décidément une œuvre inépuisable. Depuis la sortie de son film-monument, en 1985, Claude Lanzmann n’avait cessé de replonger dans les 350 heures de rushs accumulés pendant cinq ans de tournage dans quatorze pays, afin d’approfondir son récit de l’extermination des Juifs d’Europe. Il y eut Sobibor, 14 octobre 1963, 16 heures (sur la révolte des déportés dans ce camp établi en Pologne), Un vivant qui passe (sur le délégué de la Croix-Rouge Maurice Rossel qui ne voulut pas voir la réalité d’Auschwitz et du « ghetto témoin » de Theresienstadt), Le Rapport Karski (sur le résistant polonais), Le Dernier des injustes (sur le président du conseil juif de Theresienstadt, Benjamin Murmelstein) puis, en 2018, Les Quatre Sœurs, récits poignants de quatre rescapées (Ruth Elias, Ada Lichtman, Paula Biren et Hanna Marton).

 Je n’avais que le néant - Shoah par Lanzmann est le dernier volet en date de cette galaxie documentaire. Il est, aussi, par la force des choses, le premier dont le montage n’a pas été supervisé par Claude Lanzmann, mort le 5 juillet 2018, à 92 ans. Mais peut-être, et paradoxalement, celui dans lequel le journaliste-écrivain-cinéaste est le plus présent, à l’image comme par les mots – le commentaire en voix off est constitué pour l’essentiel d’extraits de son formidable livre de Mémoires, Le Lièvre de Patagonie. À rebours de son image publique de « statue du Commandeur », Lanzmann apparaît ici comme un créateur qui tâtonne, hésite, se trompe avant d’avoir la révélation de ce que sera Shoah en découvrant « qu’un village réel appelé Treblinka [peut] encore exister ». Dans une scène bouleversante, l’homme mûr se transforme même en petit garçon en demande de consolation dans les bras de Yitzhak Zuckerman, le commandant en second de l’Organisation juive de combat (OJC) pendant l’insurrection du ghetto de Varsovie.

Guillaume Ribot, déjà auteur d’un remarquable documentaire sur l’extermination nazie, Vie et destin du livre noir : La destruction des Juifs d’URSS (2019), a réalisé bien plus qu’un passionnant récit sur la genèse folle (et, parfois, rocambolesque) de Shoah à partir de ses images inédites : il a su en retrouver l’essence même dans son montage. On y retrouve, bien sûr, des moments emblématiques du film matrice de Lanzmann – le survivant Simon Srebnik chantant sur une barque à Chelmno ; le coiffeur Abraham Bomba qui, dans son salon new-yorkais, revit les coupes de cheveux qu’il a dû effectuer dans les chambres à gaz ; le train de marchandises qui, là aussi, roule interminablement dans la dernière séquence.

 

Mais Je n’avais que le néant… participe aussi, comme l’écrivait Simone de Beauvoir à la sortie de Shoah, en 1985, de ce « grand art » de « faire parler les lieux, les ressusciter à travers les voix, et, par-delà les mots, exprimer l’indicible par des visages ». Le documentaire de Guillaume Ribot rappelle que Shoah est un film sur le regard de ceux qui ont vu la mort et, au-delà, un témoignage sur la radicalité de cette dernière : Lanzmann a voulu ressusciter les victimes d’Auschwitz, Treblinka ou Sobibor pour les faire mourir une deuxième fois mais, cette fois-ci, en les accompagnant dans la mort. Au générique final sur fond noir nous sont revenus les mots de l’universitaire Shoshana Felman en hommage à Claude Lanzmann : « Shoah ressuscite l’Holocauste avec une telle puissance […] qu’il déplace radicalement et fait éclater […] notre vision du réel, notre idée de ce que doit être le monde, la culture, l’histoire, notre vie elle-même. »
-Samuel Douhaire, Télérama

Projeté dans le cadre de

7 Décembre 2025
de Claude Lanzmann (1985) - Les Classiques dimanche 7 décembre à 13H00!
8 Décembre 2025
de Guillaume Ribot (2025) - Séance spéciale lundi 8 décembre à 18H30 !