Disco Boy

De Giacomo Abbruzzese
France, Italie, Pologne, Belgique - 2023 - vost - 91' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Prêt à tout pour s’enfuir de Biélorussie, Aleksei rejoint Paris et s’engage dans la Légion étrangère. Il est envoyé au combat dans le Delta du Niger où Jomo, jeune révolutionnaire, lutte contre les compagnies pétrolières qui ont dévasté son village. Si Aleksei cherche une nouvelle famille dans la Légion, Jomo s’imagine être danseur, un disco boy. Dans la jungle, leurs rêves et destins vont se croiser…

Critique

Il a mis dix ans à faire ce film. Et quel film ? Une œuvre dense, entre musique techno, descentes infernales dans la brousse africaine et cris de guerre. Disco Boy est un titre trompeur. On imagine un récit centré autour du monde de la nuit, de la sexualité et de la ville. Rien de tout cela. Le long-métrage raconte le périple quasi spirituel d’un Biélorusse, qui, s’adonne à la guerre au Niger auprès de la Légion étrangère afin de gagner la nationalité française. Mais les combats l’amènent à sacrifier un révolutionnaire africain aux yeux étrangement bicolores. Le film très justement récompensé à Berlin réinvente complètement le récit de guerre. Le réalisateur emprunte une voix très esthétique pour témoigner de la brutalité des combats, qu’il s’agisse de la préparation à se battre des légionnaires ou des conflits eux-mêmes en pleine savane. Les jeunes gens qui peuplent la fiction sont des êtres fantomatiques, sans existence autre que celle de lutter pour une cause qui les dépasse. La musique de Vitalic accompagne d’un bout à l’autre cette confrontation d’êtres humains aguerris à des combats qui ne devraient pas être les leurs, dans une ambiance sonore inédite et transcendante. Disco Boy verse brusquement dans le conte aux relents spirituels et initiatiques, voire fantastiques, faisant de la danse un passage vivant entre les morts abandonnés sur le chemin de la guerre et les jeunesses occidentales qui se bousculent dans les discothèques. À presque quarante ans, Giacomo Abbruzzese réalise son premier long-métrage après s’être essayé à nombres de courts. Le talent est là, c’est évident. Voilà un cinéaste qui n’a pas peur de soulever des montagnes, transformer les images, surprendre par les sons et les lumières. Sa caméra voyage en Pologne, à Paris, au Niger, et à la Réunion avec ; chaque fois, un désir de réinventer un regard et une esthétique du cinéma. Son récit est peuplé de comédiens sombres, silencieux, à commencer par son personnage principal interprété par un Franz Rogowski tout en secrets et tourments intérieurs. L’acteur joue avec son corps, ses yeux, et même l’accent slave qu’il adopte concourt à la puissance de son jeu. Il se fond dans le rôle d’un être en pleine errance identitaire et culturelle qui ne rêve pas tant d’obtenir les papiers que de donner un sens à son existence. Disco Boy est une œuvre enivrante et solaire. Le réalisateur emprunte des voies totalement innovantes et inédites pour décrire l’absurdité de la guerre et le gâchis de la jeunesse dans des énergies négatives, qui devraient être musicales et artistiques. Il rend hommage à pas feutrés aux légionnaires que la plupart des citoyens ignorent, en dépit de la dévotion qu’ils vouent à la République. Voilà un film beau et fou à la fois, où les repères cinématographiques prennent une nouvelle épaisseur.

Laurent Cambon, avoir-alire.com