Mustang

De Denise Gamze Ergüven
France, Allemagne, Turquie, Qatar - 2015 - vost - 97' - Couleurs
Synopsis

C'est le début de l'été. Dans un village reculé de Turquie, Lale et ses quatre sœurs rentrent de l’école en jouant avec des garçons et déclenchent un scandale aux conséquences inattendues. La maison familiale se transforme progressivement en prison, les cours de pratiques ménagères remplacent l’école et les mariages commencent à s’arranger. Les cinq sœurs, animées par un même désir de liberté, détournent les limites qui leur sont imposées.

Critique

Mustang de Deniz Gamze Ergüven commence par une belle scène de baignade, doucement accompagnée d’un travelling latéral sur la mer et du bercement du bruit des vagues. Mais rapidement la mécanique se grippe et l’on ne peut pas s’empêcher de voir dans la scène consécutive du vol des pommes, la symbolique du péché originel qui condamne les mortels, et une once d’ironie tragique lorsque la benjamine joue à être plus femme que ce qu’elle n’est déjà. Les cris de rire se transforment alors en cris de révolte et on distingue cinq trajectoires naissantes d’une même situation initiale, cinq destins très différents face à l’engrenage patriarcal inarrêtable, qui transforme progressivement leur maison en prison. Cette violence s’exprime sous des formes très diverses – le devoir de virginité au mariage, le contrôle de l’habillement, celui du comportement vis-à-vis des hommes, les mariages forcés, l’enfermement, la séparation femmes-hommes mais aussi les violences sexuelles – du registre symbolique au registre criminel. Face à cette machine cruelle, soulignée par les plans rapprochés fréquents, particulièrement au niveau des visages, les cinq sœurs apparaissent solidaires, soudées comme un corps collectif. Elles sont régulièrement représentées côte à côte, en cercle ou enchevêtrées les unes sur les autres en tant que tout, dont les scènes de rire et de joie éphémère rythment et contrastent, tant par l’image que par le récit, la lourde trame narrative du film. Ce contraste révèle inévitablement le paradoxe sociétal turc : un écartèlement entre patriarcat et modernité. Le droit de vote des femmes en 1934 (1971 en Suisse) et la dépénalisation de l’avortement en 1983 (2002 en Suisse) se heurtent à un retour de la morale religieuse restrictive dans la société turque actuelle. Mais la narratrice de ce récit, la benjamine Lale, dénonce ce tournant de l’Histoire avec un regard perçant qui nous montre ce que l’on doit regarder. En mustang en fuite constante, rebelle et non-résignée, elle se bat, tente de s’évader, met en place un plan de fuite et transforme la maison-prison en maison-protection. Sa quête de liberté, et de la même manière son récit, se termine finalement dans la beauté d’une composition cyclique, avec un retour aux premiers personnages du film. Cette narration, infusée de Virgin Suicides (1999, Sofia Coppola), portée par de belles images et sans underscoring, est donc résolument un film féministe, jeune et libre.

Felix Mascotto
Élève ayant participé aux Journées d'Etudes Cinématographiques

Projeté dans le cadre de

28 Avril 2023
Un rendez-vous de cinéma programmé par et pour les jeunes