La Danse du vent

De Rajan Khosa
Inde - 1997 - vost - 90' - Couleurs - 35mm
Synopsis

New-Delhi d'aujourd'hui: un événement ébranle Pallavi Seghel, l'étoile montante du chant classique. Une grande figure de cet art de l'Hindoustan, Karuna Devi, qui n'est autre que sa mère et son enseignante de toujours, vient de mourir. Cette disparition laisse soudainement Pallavi sans voix. Sa carrière est menacée. Elle risque de perdre ses élèves et même son mari. Tous espèrent néanmoins qu'une fois la douleur de Pallavi calmée, sa voix reviendra d'elle-même. Mais son silence perdure…

Critique

Danse du vent, et non du ventre: même un brin fumeux, le titre convient bien à ce superbe film indien, à l'affût de l'invisible. Les derniers films du sous-continent à parvenir sur nos écrans étaient certes moins ésotériques que celui-ci, mais aussi moins authentiques. Sans vouloir médire de Bandit Queen (Shekar Kapur), Kama Sutra (Mira Nair) ou Fire (Deepa Mehta), il s'agissait là de productions occidentalisées – seul le très dur Destinées de Shaji N. Karun s'exprimant dans un langage cinématographique vraiment original.

Comment dire toute la beauté de ce langage, qui s'exprime sur d'autres rythmes et n'est au fond qu'affaire de vibrations? Les fans de gros calibres américains bâillent déjà d'ennui. Ils ont tort. Reste à s'adresser aux amateurs du Salon de musique de Satyajit Ray: ceux-là sauront apprécier ce film délicat, également consacré à la musique.

(…) Pour Rajan Khosa, le cinéma est avant tout art de la suggestion. Dès lors, son récit pourtant bien charpenté s'enrichit de temps «morts» et d'enchaînements d'ordre plus poétique que logique. Ne s'agit-il pas d'évoquer une crise spirituelle? Dans un style elliptique, mais qui n'évacue pas pour autant le réel le plus tangible (dans une scène inattendue pour le cinéma indien, la chanteuse vomit aux toilettes), le cinéaste cerne le problème de la transmission d'une tradition. Transmission certes problématique dans la société moderne, mais aussi de par la nature même du rapport maître-élève.

Chaque scène de ce film relativement court (1 heure 30) compte. On met quelques minutes à s'installer dans le rythme, puis le charme opère. Bien sûr, le cliché n'est pas loin. La redécouverte de la musique à travers le silence, la purification qui passe par l'enfance et l'émancipation de la femme par l'effacement du mari: on a déjà donné! Pourtant, rien de simpliste ici. Il faut démêler l'héritage complexe du passé, remettre en question l'infaillibilité du maître et la sagesse des parents pour accéder enfin à sa propre voix. Le personnage du critique musical, qu'ailleurs on se serait empressé de ridiculiser, s'avère finalement digne d'être écouté, parce qu'il en sait plus long que les autres… Même le mari, coupable tout désigné, est ici doux et compréhensif.

 

On a connu beaucoup de cinéastes «de la femme» plus masochistes – dans le sens d'une méfiance envers leur propre sexe – que Rajan Khosa. D'où lui vient donc cette extraordinaire sérénité? Il n'est pas inutile d'apprendre qu'il aura fallu cinq ans de patience à cet auteur de six courts métrages, pour monter ce premier long. En Inde, il s'est heurté à tous les blocages bureaucratiques, avant de trouver un financement dans cinq pays d'Europe: Allemagne, Angleterre, France, Hollande et Suisse (bourse Montecinemaverità et pré-achat par Trigon Films). Un parcours du combattant qui lui a valu d'être présenté dans une section «reste du monde» au Festival de New Delhi et de créer un tollé médiatique.

Pour le spectateur occidental, tout cela ne serait qu'anecdotique si ce n'était l'occasion de battre en brèche une perception trop misérabiliste de l'Inde. Film accompli d'un auteur qui a déjà trouvé son style, La danse du vent n'a besoin d'aucune condescendance. Actuel, universel et prenant, ce film plaide pour une meilleure prise en compte de notre part spirituelle.

Norbert Creutz, Le Temps 1998

Projeté dans le cadre de

Du 1 février 2023 au 21 février 2023
Collaboration avec la Société de lecture