Guillermo Del Toro's Pinocchio

De Guillermo Del Toro, Mark Gustafson
Etats-Unis, Mexique, France - 2022 - vost - 117' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Alors que le vieux Geppetto se lamente sur la disparition de son fils, il décide de confectionner un pantin de bois à son image. Se voyant miraculeusement insuffler de la vie, la marionnette se réveille et se met alors à se comporter comme un enfant. Entre les conseils de Sébastien J. Cricket et les mauvaises intentions du comte Volpe, le petit espiègle va se confronter aux joies et périls de la vie humaine…

Critique

Un Pinocchio chasse l’autre. Après le remake de Robert Zemeckis pour Disney +, voici celui de Guillermo del Toro pour Netflix, qui bénéficie d’une brève sortie en salles avant sa diffusion sur la plateforme à partir du 9 décembre. Le réalisateur mexicain, qui vient de livrer à Netflix son anthologie du Cabinet de Curiosités, signe ici son premier film d’animation, avec l’aide à la réalisation de Mark Gustafson. Là où Zemeckis ou Matteo Garrone (en 2020) se sont attachés à adapter le célèbre roman de Carlo Collodi en confrontant la marionnette à des acteurs de chair et de sang, del Toro repense tout le récit avec, précisément, des marionnettes, animées en stop motion. Écrit en 1881, adapté sous toutes les formes (cinéma, comédie musicale, théâtre, bande dessinée), Les Aventures de Pinocchio autorise désormais toutes les libertés, hors le concept initial : Geppetto, un ébéniste qui a perdu son fils, fabrique une marionnette à son image. Elle prend vie et doit apprendre ce qu’est un "bon" petit garçon. Pinocchio désobéit se laisse duper par le Comte Volpe et son singe Spazzatura, qui en font la star d'un spectacle de marionnettes à la gloire de Mussolini. Pour Guillermo del Toro, l’innovation consiste en effet à transposer le récit de la fin du XIXe siècle dans l’Italie fasciste. La péninsule est alors pleine de "marionnettes" consentantes qui obéissent au doigt et à l’œil du dictateur. Ce n’est pas la première fois que del Toro mêle le conte fantastique à l’Histoire et au fascisme. L’Échine du Diable (2001) et Le Labyrinthe de Pan (2006) avaient pour contexte la guerre d’Espagne. Le récit trouve dans cette toile de fond une noirceur supplémentaire. Bien que conte initiatique pour enfants, le roman de Collodi était parsemé de moments chocs. Une première version se terminait par la pendaison de Pinocchio… Guillermo del Toro y fait écho avec une scène similaire où le Comte Volpe inflige à la marionnette un martyre tout aussi brutal. Brillamment réalisé, bénéficiant d’une remarquable direction artistique (marionnettes et décors nous emmènent dans un univers parallèle tangible), le film bénéficie d’un excellent casting voix en anglais : Ewan McGregor comme narrateur dans le rôle du criquet, Tilda Swinton dans celui de la fée, Cate Blanchett pour la colombe, Christoph Waltz pour le Comte Volpe,… Ce Pinocchio est une mine de réflexions qui tombent à point nommé dans un monde où la tentation des pouvoirs forts s’exprime ouvertement, où l’art se remet complaisamment aux services de ceux-ci, où certaines rhétoriques politiques révisent les faits et méfaits des fascismes… Impossible de ne pas s’interroger, par exemple, sur la manière dont le film sera perçu dans l’Italie qui vient d’élire Giorgia Meloni. Il est aussi intéressant de voir un conte de l’obéissance aux enfants détourné en ode à la désobéissance à l’égard d'un pouvoir dictatorial et patriarcal. Mais, ce faisant, Del Toro transforme le matériau en film à thèse qui stimulera sans doute plus les adultes que les jeunes spectateurs.

Alain Lorfèvre, La Libre