La Voix d'Aïda

De Jasmila Zbanic
Bosnie-Herzégovine - 2021 - vost - 100' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Srebrenica, juillet 1995. Modeste professeure d’anglais, Aïda vient d’être réquisitionnée comme interprète auprès des Casques Bleus, stationnés aux abords de la ville. Leur camp est débordé : les habitants viennent y chercher refuge par milliers, terrorisés par l’arrivée imminente de l’armée serbe. Chargée de traduire les consignes et rassurer la foule, Aida est bientôt gagnée par la certitude que le pire est inévitable. Elle décide alors de tout tenter pour sauver son mari et ses deux fils, coincés derrière les grilles du camp

Critique

(…) La voix d’Aïda est un film sans concession. On ne vient pas regarder ce récit tragique par hasard. Car le spectateur ressort abasourdi et littéralement écrasé par le choc des images. On peine pendant presque deux heures à imaginer que la communauté mondiale savait et que pour de vagues raisons logistiques, elle a laissé les événements se dérouler. On est en Europe, en pleine période Jospin, où la croissance était très bonne et la relance économique bénéficiait à la France. Le long-métrage restaure la mémoire. La caméra fuit les effets de style inutiles. La mise en scène reconstruit, à la façon d’un entomologiste, les faits qui ont traumatisé la Bosnie à jamais. Les moyens visuels sont déployés, avec un très grand nombre de figurants, des costumes, des décors et des accessoires somptueux, car un tel film ne doit surtout pas rater son ambition. Jasmila Žbanić réalise une œuvre sur les écrans pour marquer les consciences et les souvenirs. La metteuse en scène ne protège pas son spectateur. La matière narrative est brute, violente, mais tellement nécessaire. Le film trouve sa réussite dans l’interprétation sans faille de Jasna Đuričić. La comédienne semble totalement absorbée par ce récit, comme si, à travers son rôle, elle devait à son tour témoigner de nos mémoires défaillantes et de la déraison de l’Histoire. Elle déploie une énergie incroyable et incarne une interprète au service de l’ONU, tout aussi idéaliste que visionnaire sur ce que les autorités mondiales ne pourront pas empêcher. Elle cherche à sauver sa propre famille, au mépris de sa propre survie. En ce sens, cela ne fait pas d’elle un personnage manichéen. Elle choisit de protéger les siens avant tout et exécute sans broncher les ordres que les militaires lui assènent. Elle s’empêche de penser, tenant son corps dans un mouvement perpétuel. On oublie qu’il s’agit d’un film. La caméra emporte le spectateur dans cet hangar, aux côtés de commandants de l’ONU, sinon complices, en tous les cas impuissants face à la barbarie du général Ratko Mladić. A l’aune d’une actualité mondiale toujours plus inquiétante, de génocides qui se perpétuent encore à travers la planète, La voix d’Aïda est une œuvre importante que les spectateurs se doivent de regarder. Il en va de notre honneur, de la promesse que jamais plus, l’Europe ne se salisse d’un pareil massacre.

Laurent Cambon, aVoiraLire.com

Projeté dans le cadre de