Frère et soeur

De Arnaud Desplechin
France - 2022 - vofr - 110' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Un frère et une sœur à l'orée de la cinquantaine... Alice est actrice, Louis fut professeur et poète. Alice hait son frère depuis plus de vingt ans. Ils ne se sont pas revus depuis tout ce temps - quand Louis croisait sa sœur par hasard dans la rue, celle-ci ne le saluait pas et fuyait...

Critique

(...) Frère et sœur condense à lui seul tout ce qui fait la grandeur du cinéma d’Arnaud Depleschin. D’abord, comme à son habitude, c’est un film très écrit. L’art, le théâtre, la littérature sont présents à travers les personnages principaux, laissant libre court au cinéaste pour faire rouler son sens du romanesque. Les voix off des deux héros contrariés parcourent ainsi le récit comme s’ils étaient à la fois les acteurs et les témoins de ce drame affectif et familial. Le pire, c’est que la raison du conflit entre les deux est obscure, voire incompréhensible. Le combat qu’ils mènent apparaît comme une opportunité à écrire une histoire qui soit peut-être celle d’un roman que Louis rédige ou celle qui se joue sur la scène d’un théâtre pour Alice. Depleschin interroge le vrai et le faux, et s’amuse à perdre son spectateur dans une symphonie de témoignages, qui est tout autant la réalité que la réinvention de leur récit.

La beauté des personnages se mêle une fois de plus à des paysages urbains du nord de la France où la drogue, l’alcool, la pauvreté se cognent aux destins bourgeois des protagonistes. En imposant ce portrait d’une famille issue des classes moyennes et ayant permis aux enfants de s’extraire de la pauvreté et de l’incognito, le cinéaste balaie de façon subtile la question du social dans le nord de la France. Seule la compagne de Louis apparaît comme une exception dans un fonctionnement sociétal où le déterminisme trace les routes avant toutes choses. Elle n’a rien de la fille issue de l’immigration, hormis l’accent, et est perçue comme un être libéré de toutes les contraintes sociales. Paradoxalement, Louise et Alice qui accèdent au succès grâce à leur art, continuent de lutter intérieurement contre la médiocrité de leur famille.

 

Le film ne serait pas cette haute teneur sans le jeu parfait des comédiens, à commencer par Marion Cotillard et Melvil Poupaud. Les acteurs ont gagné en intensité et maturité. Ils assument le temps qui passe, se retrouvant parfois dans le jeune homme ou la jeune fille qu’ils ont été. Ils assument des dialogues fleuves qu’ils récitent comme si cette existence-là qui se joue sur l’écran était celle d’un roman ou d’une scène de théâtre. Ils font vivre avec une majesté incroyable les non-dits qui pourrissent leur relation, les souvenirs qui entravent leur perception du réel, et leur volonté, avec l’âge, de parvenir à un certain apaisement. Mais la crise les rattrape et tous les deux flanchent dans un état proche de la folie. (...)

Laurent Cambon, A Voir A Lire