Pandora

De Albert Lewin
Royaume-Uni - 1951 - vost - 126' - Couleurs - Numérique
Synopsis

À la fin de l’été 1930, deux corps sont repêchés au large du village d’Esperanza, en Espagne. Quelques mois plus tôt, la chanteuse américaine Pandora Reynolds enflammait les cœurs de tous les hommes de la région. Suite à un pari, elle se fiance avec Stephen Cameron, un pilote automobile britannique. Un soir, Pandora observe un yacht amarré dans la baie et décide de s’y rendre à la nage. Elle fait alors la rencontre de son propriétaire, Hendrick van der Zee, qui n’est autre que le Hollandais volant de la légende : un homme condamné à errer sur les océans pour l’éternité, jusqu’à ce qu’il trouve une femme prête à mourir pour lui…

Critique

C'est une œuvre ébouriffante, insensée, incroyable - et qui d'ailleurs ne cherche pas à convaincre ; c'est à la fois Othello vu par Popeye, le Bateau ivre revu par le voleur de Bagdad, la Couronne de fer posée sur la tête de Coleridge et l'introduction des Cover-girls dans la mythologie (un précédent pourtant : Rita Hayworth. était déjà descendue de l'Olympe). C'est le plus souvent d'un goût même pas douteux, et il en va de l'emploi de la couleur comme du goût, on n'en saurait discuter. Mais je vous jure que ce Pandora, prêtant à se moquer surabondamment, n'ennuie jamais durant deux heures cinq de projection. Simplement, si vous y allez, ne comptez pas voir un film anglais dans la tradition feutrée, humoristique et vraiment britannique de Pygmalion ou de Pimlico : attendez au contraire de Pandora les initiatives les plus désordonnées et résignez-vous à une incontinence verbale qu'il arrivera souvent à l'image d'excuser.

L'analyse ? Autant vouloir résumer Sinbad le marin. Pandora, mythologiquement parlant, fut la " première femme ", d'après la Théogonie, d'Hésiode, et les œuvres et les Jours. Fabriquée par Héphaistos avec de la terre et de l'eau, elle fut envoyée aux hommes par Zeus pour les châtier quand Prométhée eut dérobé le feu au ciel. Aphrodite, Peitho et les Grâces la parèrent de tous les charmes ; les Heures, des fleurs du printemps. Hermès lui donna la parole et Zeus un coffret où toutes les misères pouvant accabler l'homme se trouvaient enfermées. Cette Pandora-là, nous n'en verrons que le moderne symbole, Pandora Reynolds, pour qui tout le monde meurt d'amour dans la petite île méditerranéenne d'Esperanza, où elle villégiature. Reggie, éponge à whisky, se tue au bord du piano dont elle caresse les touches en chantant comme sait le faire Ava Gardner (Pandora) ; Stephen, sorte de Malcolm Campbell toujours en quête d'un record de vitesse automobile (Nigel Patrick), précipite sa voiture de course (sans pilote) du haut de la falaise pour satisfaire au caprice de la belle enfant ; Juan Montalvo, matador célèbre à Madrid, la rencontre à minuit dans une auberge et, sans remettre à mañana ce qu'il peut faire aussitôt, torée pour elle seule dans la nuit ; voilà le genre...

Cependant, dans la rade d'Esperanza un mystérieux yacht sans équipage jette l'ancre. L'érudition d'un vieil archéologue qui joue les coryphées éventuellement nous laisse pressentir qu'à son bord doit se trouver le... Hollandais volant. Ce personnage est condamné à ne jamais mourir depuis qu'au dix-septième siècle il a poignardé sa Desdémone, pourtant innocente. Son destin est d'errer sur les océans avec des marins fantômes, et de temps à autre de revenir parmi les hommes : ce, jusqu'à ce qu'une femme meure par amour de lui. Le retour en arrière (sérieux celui-là, portant sur trois siècles...) qui rend compte de l'épisode est parfaitement ridicule, mais nous revoici à Esperanza, où Ava Gardner, nue comme Eve ou Pandora, - nous le devinons seulement, - s'élance dans les flots bleus vers le yacht où James Mason, seul, achève le portrait de l'antique Pandora. C'est à peu près à ce moment que s'engage l'action principale : alors, vous comprenez...

De toute manière personne ne manifestait d'impatience au Marbeuf lorsque j'y vis Pandora. De l'amusement certes, et souvent là où le metteur en scène Albert Lewin eût espéré de l'émotion. Ava Gardner est belle comme... les sept péchés capitaux. Il peut être piquant de savoir que l'ancienne compagne de Mickey Rooney et du trompette Artie Shaw avait réellement chaviré le cœur du matador du film (Mario Cabré) lorsqu'elle tourna Pandora en Espagne. Ce qu'apprenant Frank Sinatra ne fît qu'un saut là-bas et... réussit à convaincre Ava Gardner, femme fatale, de l'épouser enfin : Time assure que Cabré accuse sa méconnaissance de la langue anglaise et, depuis, travaille fiévreusement. James Mason nous a paru moins beau qu'à l'ordinaire, soufflé. Les autres jouent correctement. Mais quel film ! À la sortie des spectateurs nous interrogeaient avant d'entrer, eux : " Alors ? Comment est-ce ? - Heu ! c'est... c'est très spécial. "

Henry Magnan, Le Monde, septembre1951

Projeté dans le cadre de

27 février 2022
Pandora de Albert Lewin