Guermantes

De Christophe Honoré
France - 2021 - vofr - 139' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Paris, été 2020. Une troupe répète une pièce d’après Marcel Proust. Quand on lui annonce soudain que le spectacle est annulé, elle choisit de continuer à jouer malgré tout, pour la beauté, la douceur et le plaisir de rester ensemble…

Critique

Le 17 mars 2020, Christophe Honoré et la quinzaine d’acteurs de la Comédie-Française qui répètent la pièce Guermantes doivent comme tout le monde rentrer chez eux et interrompre leurs activités, pour cause de pandémie. Quelques semaines plus tard, Honoré apprend qu’une caméra lui sera confiée dès que le confinement sera levé. Guermantes le film, tourné en dix jours en juillet, n’est donc en rien une captation de la pièce prévue et à l’époque jamais créée, mais le portrait à peine différé et joueur, d’une troupe empêchée, qui décide de poursuivre des répétitions de manière buissonnière, et alors qu’elle ignore si son spectacle se jouera jamais. Une situation réelle vécue par nombre d’équipes, et que le cinéaste a eu la chance et la sagacité de capter.

L’une des beautés du film est d’apparaître immédiatement sous les manteaux ambigus de la fiction alors même que les acteurs jouent indéniablement leur propre rôle et que le film paraît s’écrire dans l’ombre de l’instant présent, sous nos yeux. C’est donc une caméra curieuse et légère, doucement scrutatrice, qui filme les doutes de chacun mais surtout le désir, et comment il circule et soude cette équipe entravée qui a décidé de ne pas quitter son lieu de prédilection au point d’y dormir. Un cinéaste des années 70 aurait choisi l’usine pour filmer le travail. Ici, la caméra explore le théâtre Marigny de fond en comble, des loges au grenier en passant par les bas-fonds, les sanitaires, les cintres, les coulisses, le jardin, comme on ouvre une malle aux trésors. L’autre beauté est d’être un portrait de groupe et de troupe sans rien omettre des fluides qui les animent. Un film démocratique où la quinzaine d’acteurs existe continûment même lorsqu’ils sont hors-champ, sans qu’il n’y ait de chœur, ni de morceaux de bravoure. Comment se fonde une équipe et comment débutent les fictions ? Par quelle exclusion, sentiment de reconnaissance, informations capitales glanées de manière impromptue et malentendus grotesques ? De Florence Viala enfermée dans son costume qui écoute le bruissement de la conversation de ses collègues grâce au retour du haut-parleur dans sa loge tout en souffrant un chagrin d’amour, à Eric Génovèse qui surgit impromptu au milieu des confidences de Serge Bagdassarian à Elsa Lepoivre, Dominique Blanc qui se méprend sur une conversation téléphonique attrapée au vol, ou encore Anne Kessler qui ne cesse de dessiner l’un de ses collègues, Christophe Honoré multiple les décrochages pour réussir l’un de ses films les plus libres, les plus drôles, les plus impromptus et les moins cadenassés, qu’on s’intéresse ou non à la Comédie-Française ou au théâtre en général.

Anne Diatkine, Libération