Thelma & Louise
Deux amies, Thelma et Louise, frustrées par une existence monotone l'une avec son mari, l'autre avec son petit ami, décident de s'offrir un week-end sur les routes magnifiques de l'Arkansas…
Le film a vingt-sept ans, mais « Thelma et Louise vivent pour toujours ». C’est écrit sur des t-shirts, proclamé sur des badges, des autocollants, repris dans les manifestations. Dans les Etats-Unis de l’ère post-Weinstein, le furieux road-movie féministe de Ridley Scott n’a jamais autant paru d’actualité. Histoire d’un week-end entre copines qui tourne à la cavale tragique, cette œuvre désormais « culte » roule à tombeau ouvert dans un monde de prédateur. Véritable manifeste proto #MeToo, la virée de Susan Sarandon et Geena Davis sur les routes d’Amérique dresse une carte presque exhaustive des figures de la violence et de la domination masculine : tyran domestique, camionneur obscène et harceleur, et surtout, violeur récidiviste. L’homme qui agresse Thelma dans le parking d’une boîte de nuit n’en est probablement pas à son premier crime. Il ne connaît pas le sens du mot « non ». Louise va le lui apprendre à bout portant, d’une balle en pleine poitrine. Passage à l’acte désespéré, manifeste de défiance envers une société aveugle au sort des femmes, ce coup de feu fait basculer les deux ménagères ordinaires de l’Arkansas dans une forme progressive, mais radicale, de rébellion. Pas question d’aller à la police, « parce que j’ai dansé avec lui toute la soirée, et tout le monde l’a vu, et ils penseraient que je l’ai bien cherché », dira Thelma plus tard. Même les « autres » hommes n’ont plus leur place dans la fuite en avant qui en découle, du petit voleur de hasard qui leur pique leurs économies (Brad Pitt, dans le rôle qui a lancé sa carrière) à l’amant qu’on ne peut pas emmener (Michael Madsen, touchant, mais violent et ambivalent). Tandis qu’elles se dépouillent peu à peu de ce qui faisait leurs vies – les carcans, les contraintes, mais aussi tout le reste – Thelma et Louise ne peuvent plus compter que sur elles mêmes, jusqu’au bout du chemin. Et le film devient une métaphore chimiquement pure de la solidarité féminine, de la conquête brutale d’une identité. Au fil des années, cette œuvre brûlante a souvent été critiquée. Certains lui ont reproché sa violence, son pessimisme, et d’autres une peinture trop noire de la gent masculine (un seul mâle échappe vraiment au jeu de massacre : le flic compatissant qui les poursuit, interprété par Harvey Keitel). Qu’importe : Thelma et Louise n’a pas pris une ride. Ni dans l’interprétation palpitante des deux comédiennes ni dans l’énergie convulsive de chaque séquence. Et vu d’ici et maintenant, l’envol final des belles rebelles dans leur voiture cernée par la police, ressemble moins à une tragédie qu’à un nouveau départ.
Cécile Mury, Télérama