Les Séminaristes

De Ivan Ostrochovský
Slovaquie - 2020 - vost - 80' - Noir et Blanc - Numérique
Synopsis

En Tchécoslovaquie au début des années 1980, le régime communiste musèle l’église. Deux jeunes séminaristes devront choisir entre la soumission à la police secrète, ou une fidélité à leurs convictions qui pourrait leur coûter la vie…

Critique

Dans ce film sorti en salles mercredi 2 juin, le Slovaque Ivan Ostrochovsky ausculte les dilemmes moraux de jeunes catholiques en Tchécoslovaquie, pris en étau entre le Vatican et l’URSS avant la chute du rideau de fer. Où se trouve la frontière entre résistance et compromission ? Une subtile réflexion, sans jugement, en noir et blanc.

C’est un film discret, sorti en catimini ce mercredi 2 juin. Dans Les Séminaristes, le jeune réalisateur slovaque Ivan Ostrochovsky évoque, dans un style épuré souvent proche de Robert Bresson, les pressions exercées, dans les années 1980, par le pouvoir communiste à l’encontre d’une frange du clergé, résistant à ses oukazes. On peine à les imaginer en France où, après bien des combats, la séparation entre l’Église et l’État est effective depuis 1905. Mais c’est loin d’être le cas partout : on a vu, récemment, des femmes polonaises interrompre des liturgies pour fustiger les mesures antiavortement, édictées par leurs dirigeants et soutenues par certains prêtres. Lors de la sortie, il y a un an, de La Llorona (magnifique évocation, à la limite du fantastique, d’un tyran déchu, cerné par ses crimes), le réalisateur Jayro Bustamante déclarait : « Les choses n’ont guère changé au Guatemala : depuis des décennies, les militaires ont toujours le pouvoir, auquel s’ajoute celui de l’Église catholique : des loups face à des centaines de brebis qui ne se rebellent pas. » L’orthodoxie n’a rien à envier, parfois, au catholicisme. Ce que certains cinéastes russes ont dénoncé – non sans courage. Assigné à résidence de longs mois pour une escroquerie jamais prouvée, Kirill Serebrennikov vient de retrouver une (relative) liberté de mouvement : dans Le Disciple, en 2016, il avait montré un pope complice de profs réacs enseignant des inepties à des ados indifférents… Qu’on se souvienne aussi de Lévisthand’Andreï Zviaguintsev (2014) : on y voyait le maire totalement corrompu d’une petite ville faire allégeance au tout-puissant évêque. « On travaille pour la même cause, lui disait le saint homme. Ne t’en fais pas : le pouvoir vient de Dieu. Tant qu’Il est content, tu ne crains rien. » Union du vice et de la (fausse) vertu… 

Les Séminaristes nous transporte dans le camp des victimes, ces jeunes croyants qui, dans leur faculté de théologie, se retrouvent pris en tenaille entre des enseignants perpétuant les traditions et d’autres, missionnés par le pouvoir… Résister ou se soumettre. Obéir à leur foi ou à la loi, puisqu’en ces temps troublés elles s’opposent. Et c’est cette progression de la soumission dans les cœurs et les esprits que traque le cinéaste. Belle photo en noir et blanc. Angoisse diffusée par une suite de scènes courtes, elliptiques, parfois burlesques : jeunes gens tournant inlassablement autour d’une table de ping-pong ou s’exerçant à sauter sur un trampoline, au risque de se casser la gueule… Le réalisateur ne peint pas – et c’est tout l’intérêt de son film – le Mal pur et dur. Brut, brutal et bêta. Il a figure humaine, au contraire. Il est raisonnable, rassurant, logique. Ceux qui y succombent peuvent, donc, justifier leur trahison au nom de la sagesse. « Tout le monde va me cracher dessus, mais moi, je vais sauver mon école », se dit l’un des responsables de l’institut théologique, tandis qu’il cède à la tentation…

La faute d’un traître se dissout-elle dans la pureté de ses intentions ? Peut-on se compromettre au nom d’un Bien espéré en vain ?… Esthétisant et mystérieux, le film soulève plus de questions qu’il ne fournit de réponses. Ce qui est le rôle de l’artiste, au demeurant, même si certains, en ces temps troublés, auraient tendance à l’oublier. « J’essaie, dit Ivan Ostrochovsky, de trouver des personnages qui, même s’ils font des choses répréhensibles, nous ressemblent. Il nous faut comprendre ce qui les pousse à succomber à la peur, la frustration, l’insatiabilité. Je veux que le public comprenne combien il est aisé de se retrouver du mauvais côté de l’Histoire. »