La Vie privée de Sherlock Holmes

De Billy Wilder
Etats-Unis, Grande-Bretagne - 1970 - vost - 117' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Sherlock Holmes, assisté de son fidèle Watson, prend en charge l'affaire que vient lui soumettre Gabrielle Valadon après que l'on a tenté de mettre fin à ses jours : retrouver son mari disparu. L'enquête va emmener le couple de détectives jusqu'au bord du Loch Ness…

Critique

Sur les accords de la musique de Miklos Rozsa, derrière un générique dont le design est signé Maurice Binder, une vieille malle est ouverte. Des mains anonymes en sortent des objets dont une voix off, celle du Docteur Watson, nous indique qu’ils appartenaient à Sherlock Holmes. Sont alors décrits en détail un certain nombre de fétiches attachés au personnage créé par Arthur Conan Doyle : un chapeau à double visière, une pipe recourbée, une loupe, une seringue. Des objets devenus des reliques.

L’idée de reliques, comme fragments destinés tout à la fois à conserver quelque chose d’un passé enfoui tout en témoignant d’une perte irrémédiable, est le principe même de cet admirable Blu-ray édité par L’Atelier d’images. Pour s’en rendre compte, il faut en passer par les copieux suppléments qui accompagnent le long-métrage de Billy Wilder. Comme le rappelle l’historien, réalisateur, archiviste et découvreur de trésors Jérôme Wybon dans une interview, le réalisateur avait eu l’idée, dès les années 1960, de s’emparer de Sherlock Holmes pour en écrire, avec son complice I.A.L. Diamond, une aventure apocryphe afin d’en faire une comédie musicale destinée aux planches de Broadway. Ce n’est qu’à la toute fin des années 1960 que ce projet se réalisera, sous la forme d’un long-métrage produit par la Mirisch ­Company. 

Prévu pour durer quatre heures, le film sera, après le tournage, réduit à deux heures sur les instructions des producteurs, rendus frileux par l’insuccès de récentes grosses productions. La Vie privée de Sherlock Holmes, tel qu’il fut distribué dans les salles, est donc un long-métrage mutilé, un fantôme de film, dont les bonus du Blu-ray vont reconstituer la continuité, à partir de ce qui fut retrouvé du métrage disparu, c’est-à-dire des reliques, justement (photographies de plateau, pages de scénario, pistes sonores, séquences entières parfois sans piste son).

Apparaît ainsi la dimension poétique de l’archive cinématographique, non seulement comme trace du passé mais aussi comme l’existence spectrale de ce qui n’est plus et ne reviendra jamais. Il semble en effet que les séquences coupées, sous leur forme achevée, aient totalement disparu. A côté de cette reconstitution, on trouve une émouvante et fine interview de Christopher Lee, qui incarne Mycroft Holmes, le frère du détective, et surtout un documentaire allemand réalisé pendant le tournage. On y voit Wilder au travail, on l’entend, avec son accent inimitable, parler du film et travailler avec son scénariste, on découvre sa complicité avec les acteurs sur le plateau. Bouleversant. 

La Vie privée de Sherlock Holmes n’eut guère de succès en salle. Il s’agit pourtant d’un film admirable, représentatif de ces œuvres tardives et testamentaires des grands artistes hollywoodiens classiques qui restèrent fidèles à leur art, tout en sachant le ­complexifier pour répondre aux nouvelles exigences d’un présent en plein bouleversement (l’agonie des studios). Le film s’avoue de son temps (un temps de décadence pour le cinéma américain), en y abordant crûment des motifs longtemps refoulés. La dépendance d’Holmes à la cocaïne est un des enjeux du récit, tout autant que son rapport problématique aux femmes.

Celui qui fut sans doute le moins romantique des cinéastes, auteur, entre autres, de films noirs et de comédies vachardes, le plus cynique et le plus misanthrope peut-être, dévoile, sur le tard, une sensibilité singulière, qui culminera encore dans son chef-d’œuvre suivant, Avanti ! Au centre de La Vie privée de ­Sherlock Holmes se dévoile la solitude d’un personnage omniscient dont la cuirasse se fendille. Si les scènes coupées, du moins ce que l’on en entraperçoit, pouvaient être vues comme de joyeuses variations sur l’amitié entre Holmes et Watson, ce qui reste du film (une séquence burlesque où Holmes fait croire à une grande ballerine russe qui veut un enfant de lui qu’il vit en couple avec Watson, suivie d’une intrigue où apparaissent le monstre du Loch Ness, les services secrets britanniques, une belle espionne, la reine Victoria et quelques détails baroques) se focalise davantage sur une histoire d’amour qui en restera au stade de la virtualité tragique. La misogynie d’Holmes y prend une intense et poignante signification mélancolique.

Jean-François Rauger

Projeté dans le cadre de

Du 10 Juin 2020 au 30 Juin 2020
Une rétrospective