Samedi soir, dimanche matin

De Karel Reisz
Royaume-Uni - 1960 - vost - 89' - Noir et Blanc - Numérique
Synopsis

Ouvrier tourneur dans une usine de Notthingham, Arthur Seaton oublie son travail abrutissant quand arrive le week-end. Là, il partage son temps entre le pub où la bière coule à flots, le lit de son amante Brenda, une femme mariée à l'un de ses collègues, et les parties de pêche. Alors qu'il vient de rencontrer une belle jeune fille, Brenda lui annonce qu'elle est enceinte de lui...

Critique

Reçu à l’époque comme le film-phare de la Nouvelle Vague britannique, Samedi soir et dimanche matin marque le passage de Karel Reisz (et de la génération du Free Cinema) du court métrage documentaire au long métrage de fiction. Adapté d’un roman d’Alan Sillitoe, le film met en vedette un personnage, Arthur Seaton, et l’acteur qui l’incarne, Albert Finney, double avatar du « jeune homme en colère » dont le nouveau cinéma britannique se veut le porte-parole. Tout comme son cousin américain ayant les traits de James Dean ou de Marlon Brando, ce nouveau héros refuse les conventions et exprime sa résistance aux mots d’ordre par la violence (surtout verbale) avant de rentrer dans le rang. Davantage que des audaces stylistiques qu’on a souvent exagérées, le film tranche sur le reste de la production britannique de l’époque par sa fraîcheur de ton et par l’honnêteté avec laquelle il aborde des thèmes contemporains, comme la liberté sexuelle. Il offre des portraits contrastés et ambigus de personnages féminins associés à la société de consommation encore embryonnaire que le film semble vouloir condamner à travers certains de ses symboles comme l’automobile ou la télévision.

 

La volonté de Reisz et de ses compagnons de libérer le cinéma britannique du carcan institutionnel et esthétique où il était alors enfermé trouve un écho dans ce film. D’un style résolument réaliste, Saturday Night and Sunday Morning porte un regard d’une grande acuité sur le quotidien d’hommes et de femmes de la classe ouvrière : le travail en usine, l’apathie voire l’abrutissement qu’induisent les loisirs en passe de devenir de masse, la sexualité... Le propos de ce film peut, dans sa globalité, paraître sombre et pessimiste. Karel Reisz accorde cependant une place importante aux liens d’amitié et à la solidarité qui caractérisent le monde ouvrier, n’hésitant pas à recourir à l’humour dans plusieurs scènes du film. Là aussi on retrouve une préoccupation du Free Cinema qui s’est beaucoup intéressé à la façon dont s’organise la sociabilité dans les milieux populaires de ces années d’après-guerre. La « colère » qui caractérise Arthur, admirablement incarné par Albert Finney, alors acteur débutant au cinéma, est imputable à l’absence de débouchés pour les jeunes gens animés du désir de s’affranchir des cadres qui enferment les individus dans des rôles sociaux déterminés. Arthur, comme les jeunes gens de sa génération, n’a pas connu les privations subies par ses aînés durant la guerre. Ses aspirations et ses désirs portent donc beaucoup plus loin que les leurs mais doivent composer avec un ordre social vécu comme étouffant.

Jean Laurenti, Ciné-Dossiers N°1 So British !