Il Boom

De Vittorio de Sica
Italie - 1963 - vost - 88' - Noir et Blanc - Numérique
Synopsis

Marié avec Silvia, Giovanni Alberti s'est, désormais, lancé dans les affaires. Il mène un train de vie luxueux et fréquente les milieux huppés. Mais il s'est endetté et se retrouve bientôt accablé de difficultés financières…

Critique

En 1963, aucun distributeur français ne s’intéressa à Il Boom, alors même que son réalisateur, Vittorio De Sica, était l’un des plus renommés du ­cinéma italien. Si bien que le film sort aujourd’hui en salles avec l’étiquette d’un « film nouveau ». L’étoile du cinéaste avait beau avoir pâli depuis l’éblouissement des chefs-d’œuvre néoréalistes de l’immédiat après-guerre – Sciuscia (1946), Le Voleur de bicyclette (1949) –, il venait de connaître un beau succès international avec La Ciociara (1961), que rééditerait Mariage à l’italienne, trois ans plus tard, avec la même Sophia Loren. Les distributeurs français n’étaient pas les seuls à ne pas vouloir d’Il Boom. En Italie, malgré la présence d’Alberto Sordi – qui venait d’accéder à la popularité restée la sienne jusqu’à sa mort – en tête d’affiche, le film avait rebuté le public.

Et quand on le découvre, plus d’un demi-siècle après sa sortie, on comprend pourquoi. De Sica et son scénariste Cesare Zavattini n’apportaient que des mauvaises nouvelles, de celles qu’on ne veut pas entendre. Il Boom, celui du ­titre et celui de la réalité, cette ­expansion prolongée qu’on a fini par appeler « trente glorieuses » en France, qui faisait exploser l’économie italienne, déplaçait les populations, bouleversait les mœurs, avait déjà bien servi au ­cinéma italien. Les hédonistes de La Dolce Vita, les désorientés de L’Avventura, les beaux gosses du Fanfaron n’auraient pas pu exister sans la hausse du PIB par tête. Il Boom, le vrai, les a engendrés autant que leurs parents, mais ils n’en étaient que des manifestations.

De Sica et Zavattini s’attaquent à la racine du phénomène, transformant le destin de Giovanni Alberti (Alberto Sordi), créature dérisoire, en tragédie. L’homme est issu d’un milieu ouvrier. Par son mariage avec Silvia (Gianna Maria Canale), fille d’un général de carabiniers, il est entré dans la bourgeoisie romaine. Ses commissions d’agent immobilier ne suffisent pas à maintenir un train de vie comparable à celui de ses commensaux, et les premières séquences le montrent se débattant dans l’endet­tement. Le soir, il boit du whisky et danse le twist (entêtant thème musical, sur guitare électrique de marque Eko, signé Piero Piccioni) ; la journée, il implore, mendie et supplie, sans succès. 

Jusqu’à ce que la femme d’un entrepreneur lui propose un marché shakespearien : contre un œil (qui servira à remplacer la cornée ­abîmée de son époux), elle lui donnera assez d’argent pour effacer ses dettes et s’établir à son compte. Le film, qui jusque-là présentait un intérêt essentiellement docu­mentaire (il a été tourné, entre autres, dans le quartier de l’EUR, symbole, à l’époque, de la modernité italienne), épicé de satire ­sociale un peu lourde, prend alors un tour tragique.

Cette mutation tient d’abord à Alberto Sordi. Entre ses mains, Giovanni Alberti n’est pas seulement un mouton cupide mais aussi un mari aimant, un être inquiet capable de saisir l’absurdité de son destin. Il Boom se distingue aussi par la présence, rarissime dans le cinéma de l’époque (et dans le cinéma tout court), d’un personnage féminin secondaire d’une force et d’une originalité saisissantes.

Thomas Sotinel, Le Monde, Novembre 2016