La folle ingénue
Sur un scénario d’une solidité à toute épreuve, mené par une logique implacable et serti de rimes internes qui renforcent son architecture, le film déroule une suite de séquences dont chacune est un bijou ; son art de raconter le scabreux par la métaphore est un pur bonheur. (...) Mais à notre sens le tour de force repose sur les dialogues : non pas des dialogues pour faire avancer l’intrigue, elle avance peu, mais dans la joie de manier les mots, de répliquer avec incongruité : ainsi quand Lady Carmel annonce à Belinski qu’il y a un rossignol sous sa fenêtre s’entend-elle répondre : « vous n’auriez pas dû vous donner tant de mal ». La maîtrise du verbe est un bonheur gratuit, une délectation hédoniste.
(...) On ne saurait parler de chaque séquence, et pourtant chaque séquence est impeccable ; le tout est aussi léger, aérien que chaque partie. Comme Haute pègre, Ninotchka, The shop around the corner ou To be or not to be, La folle ingénue est une merveille sensible et optimiste, généreuse et humaine, dont le charme profond correspond au message : aimez la vie, semble dire Lubitsch ; mais il ne fait pas que le dire : son film en est une ode intemporelle, une célébration de l’instant.
François Bonini, À voir à lire