Il Traditore

De Marco Bellocchio
Italie - 2019 - vost - 145' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Au début des années 1980, la guerre entre les parrains de la mafia sicilienne est à son comble. Tommaso Buscetta, membre de Cosa Nostra, fuit son pays pour se cacher au Brésil. Arrêté par la police brésilienne puis extradé, il prend une décision qui va changer l'histoire de la mafia : rencontrer le juge Falcone et trahir le serment fait à Cosa Nostra…

Une reconstitution fidèle, un jeu d'acteur hallucinant, une mise en scène magistrale: le meilleur réalisateur italien vivant dresse un portrait sanglant du plus célèbre repenti de l’Italie, mais porte aussi un regard sans concessions sur l'histoire de son pays. 

Critique

L’Église, la politique, le terrorisme : Bellocchio n’a jamais eu peur de se mesurer à de grands symboles tout en les analysant toujours à l’aune d’éléments intimes, infimes, inconscients. C’est encore le cas à travers cette « étude » d’un repenti fameux de Costra Nostra, Tommaso Buscetta, dont les révélations furent décisives dans la lutte contre la mafia, provoquant la condamnation de 475 personnes. Après avoir fui la Sicile au début des années 80, pressentant que la guerre qui sévissait alors entre plusieurs parrains ne l’épargnerait pas, Tommaso s’installe au Brésil avec sa femme et ses enfants. Il y passe du bon temps, mais il est arrêté par la police brésilienne, qui le torture – une scène hallucinante le montre dans un hélicoptère, où on l’oblige à parler tandis qu’un autre hélico vole juste à côté, avec sa femme suspendue dans le vide !

Extradé en Italie, fatigué, rescapé d’une tentative de suicide et voulant protéger sa famille, Tommaso rencontre le juge Falcone et décide de collaborer avec lui, trahissant donc son serment d’allégeance à Cosa Nostra fait très tôt dans sa jeunesse. Ce qu’il commence à révéler est d’une importance capitale puisqu’il décortique tout le système, à savoir le mode d’organisation pyramidal de Cosa Nostra, avec, à la base, ses simples soldats travaillant pour le compte d’un chef de commission.

Courageux sans doute, loyal par certains côtés, tartuffe par d’autres, ce Buscetta est fascinant. Pour autant, Bellocchio prend soin de ne jamais en faire un héros, ni un traître charismatique. Ce personnage qui ne se dit pas « repenti » et qui reste fidèle à l’esprit originel de Cosa Nostra, selon lui dévoyé par la course au profit devenue démoniaque, ne confesse jamais ses crimes, ne réclame pas pardon. Il est prudent, parcimonieux, avisé, c’est ce qui plaît au juge Falcone, lequel séduit son interlocuteur par son intelligence. Le film saisit sobrement leur lien, fondé sur un respect mutuel, à bonne distance. Mais c’est surtout la reconstitution du maxi-procès de Palerme (de février 1986 à 1987) qui marque le plus. Dans les confrontations des accusés, l’ambiance tumultueuse de la salle du tribunal, le cantonnement des mafieux derrière les barreaux comme des fauves en cage, on assiste là à un étrange théâtre, entre l’opéra-comique et les jeux du cirque, où l’arène suinte la bestialité. Sur le caractère agreste et arriéré des caïds, sur l’obsession sexuelle de Buscetta qui a toujours « préféré baiser que commander », sur la Sicile en général (le dialecte, le poids de la famille, les codes d’honneur de Cosa Nostra), Bellocchio sème avec rigueur ses indices, comme les pièces d’un puzzle.

Celui d’une tragédie sourde, secrète, étrangère aux effets spectaculaires comme au réalisme trop criant. On y devine la parano forcément galopante du traître une fois qu’il a parlé, on y voit aussi le côté délirant du cocon mis en place. Tout le monde est aux petits soins avec lui, le surprotège. Il est logé dans le Palais de Justice, un peu comme s’il était à l’hôtel. Une cage dorée à l’intérieur de laquelle on le voit faire du vélo ! Aussi le film baigne-t-il dans une atmosphère parfois irréelle, où les cauchemars et la hantise font surface. Un phénomène inéluctable dans ce monde dominé par des hommes sanguinaires et suicidaires, soudés à leur arme, enfermés dans une logique folle, qui les entraîne à sacrifier leurs propres fils.

 Jacques Morice, Télérama

Projeté dans le cadre de

Du 1 Juillet 2020 au 18 Août 2020
Les classiques d'hier et d'aujourd'hui
Du 25 Mai 2022 au 7 Juin 2022