C'est ça l'amour

De Claire Burger
France - 2018 - vofr - 98' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Depuis que sa femme est partie, Mario tient la maison et élève seul ses deux filles. Frida, 14 ans, lui reproche le départ de sa mère. Niki, 17 ans, rêve d'indépendance. Mario, lui, attend toujours le retour de sa femme.

Critique

Dans une maison qui lui a paru longtemps trop petite, un homme se perd. La femme de Mario (Bouli Lanners) l’a quitté, le laissant avec ses deux filles. Nikki, l’aînée (Sarah Henochsberg), s’apprête à laisser l’adolescence derrière elle alors que Frida, la cadette (Justine Lacroix), se débat dans les tourments des premiers émois. C’est beaucoup pour un seul homme, que Claire Burger filme comme un boxeur K.-O. debout, peinant à prendre conscience du coup que la vie vient de lui asséner. Pour dire l’histoire de Mario et de ses filles, Claire Burger est retournée à Forbach, en Lorraine, la ville où elle a grandi, pas très loin des lieux où elle a tourné son premier long-métrage, Party Girl, réalisé avec Marie Amachoukeli et Samuel Theis.

Un homme triste, une ville en hiver, ce n’est pas très hospitalier. Délibérément ou pas, la réalisatrice entretient le suspense le temps des premières séquences : est-ce qu’on va s’ennuyer à regarder les efforts désespérés de ce poisson de mari pour regagner son bocal conjugal et familial ? L’interrogation ne dure pas très longtemps. Le type qui s’est fait plaquer est aussi un héros obstiné, qui ne renoncera à rien dans son effort pour revenir à la vie. Pour que l’on croie à cette entreprise de rédemption aussi maladroite qu’obstinée, il fallait un acteur capable de faire rire sans qu’on se moque de lui, de faire pleurer sans qu’on sombre dans l’apitoiement.

Une belle collection de personnages

Bouli Lanners a déjà derrière lui une belle collection de personnages, mais la richesse des nuances qu’il apporte à la construction de celui de Mario est hors du commun. Le scénario de Claire Burger le fait circuler entre son travail, dans une administration territoriale, les lieux culturels de Forbach, qu’il fréquente assidûment, et son petit pavillon. Lanners profite de chaque station pour révéler une des strates dont l’accumulation a fait cet homme-là, qui exhibe ses sentiments avant de rester paralysé, qui voudrait dire la loi à ses filles mais se laisse arrêter à la première objection, qui voudrait retrouver la femme qui l’a quitté et s’aveugle quand elle refuse de revenir.

Au lieu d’envahir le film, l’éclosion de ce personnage crée des espaces pour les autres, à commencer par les deux filles. Lorsque l’on découvre – presque en même temps qu’elle – que Justine est lesbienne, on se demande si le film pourra supporter cette charge supplémentaire. L’attraction qu’exerce le personnage central est si forte que ce qui ailleurs n’aurait été qu’une intrigue secondaire se place harmonieusement dans l’orbite : c’est le désarroi, l’inquiétude et la douceur paternels qui seront pour la jeune fille la pierre d’achoppement de son identité. Débutante, Justine Lacroix lâche ses coups avec la fureur adolescente requise, c’est à elle qu’incombe d’infliger au père la plus dure des épreuves qu’il devra traverser.

Héros irrésistible

Plus que la vie professionnelle de Mario, traitée en une séquence, la plus violente du film, c’est sa vie sociale, culturelle qui inscrit C’est ça l’amour dans un espace plus large. Armelle (Cécile Remy-Boutang), celle qui est partie, éclaire les spectacles du théâtre de Forbach. Pour se rapprocher un peu d’elle, son futur ex-mari rejoint un atelier théâtral. Là encore, ce qui pourrait être un procédé de scénario se fond dans un mouvement très naturel. Ce que cherche Mario au théâtre ou dans les salles d’exposition où il traîne ses filles n’est pas très différent de ce qu’il demande de sa vie intime : qu’on lui fasse une place, afin qu’il reçoive et qu’il donne.

Au fil des avanies, mais aussi des surprises heureuses, qui s’abattent sur ce héros irrésistible, le rythme de C’est ça l’amour s’accélère. Claire Burger n’hésite pas à faire des incursions victorieuses sur le territoire comique, et termine son premier long-métrage en solo par une magnifique séquence incendiaire, pleine de douceur et de danger.

Thomas Sotinel, Le Monde