Jusqu'à la garde

De Xavier Legrand
France - 2017 - vofr - 93' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Le couple Besson divorce. Pour protéger son fils d'un père qu'elle accuse de violences, Miriam en demande la garde exclusive. La juge en charge du dossier accorde une garde partagée au père qu'elle considère bafoué. Pris en otage entre ses parents, Julien va tout faire pour empêcher que le pire n'arrive.

Critique

Xavier Legrand, qui signe ici un premier long-métrage hors du commun, jette les fondations de Jusqu’à la garde en édifiant avec un luxe infini de détails la plus ordinaire des situations : le règlement d’un divorce entre une femme et un homme. Une heure et demie plus tard, le film aura cheminé le long d’un mystérieux passage du Nord-Ouest, qui mène de la vie de tous les jours jusqu’aux figures les plus terrifiantes, les plus ­profondément ancrées dans nos mémoires et nos imaginations – du quotidien à la tragédie.

(...) C’est là que Xavier ­Legrand opère avec autant d’habileté que de sensibilité le basculement qui force le regard du spectateur à faire le point sur ce qui se passe à l’écran. Les ambiguïtés que l’on pouvait discerner laissent place à des contours très nettement dessinés : comme dans les contes, comme dans les tragédies, il y a la maison et ceux qu’elle abrite, la femme et les enfants, et – au dehors – une menace qui se fait de plus en plus oppressante, l’homme qui ne veut pas renoncer à sa puissance.

Ce processus est un peu ralenti par une digression consacrée à ­Joséphine, la fille, qui veut à tout prix échapper à la cellule familiale, au risque de reconstruire le piège qui s’est refermé sur sa mère. C’est la seule occasion où Jusqu’à la garde perd son caractère d’épure.

Au cours des deux moments que Julien et son père passent ensemble, l’enchaînement des présages de la catastrophe à venir se fait inexorable. Le dernier acte se joue autour de la fête d’anniversaire de Joséphine, une célébration entachée par la présence, à l’extérieur de la salle, de celui dont on ne peut plus ignorer la capacité de destruction. Le malaise du début, qui ressemblait à celui que l’on peut éprouver à observer la souffrance d’inconnus, s’est transformé en l’une des formes de terreur que peut produire le ­cinéma : celle qui fait espérer la déflagration – pour qu’on en finisse – tout en tremblant pour ceux et celles à qui la conduite du récit nous a attachés.

Cette habileté ne relève pas de la manipulation. Une seconde vision de Jusqu’à la garde (et le film en vaut vraiment la peine) révèle que, si l’on a été surpris, on n’aurait pas dû l’être. On voit alors les indices que – à l’instar de la magistrate du premier acte – l’on peut avoir négligés. On se rend compte alors que Xavier Legrand a mis en scène l’aveuglement et ses conséquences.

Thomas Sotinel, Le Monde