Gangs of Wasseypur I

De Anurag Kashyap
Inde - 2012 - vost - 180' - Numérique
Synopsis

Wasseypur, Inde. La ville voit s’opposer trois générations de gangsters héritiers de Shahid Khan, celui qui le premier se lança dans le pillage de trains britanniques. Devenu paria, Shahid Khan est contraint de travailler dans la mine de son pire ennemi, Ramadhir Singh. Sardar Khan, fils de Shahid et coureur de jupons invétéré, a juré de rétablir l'honneur de son père en devenant l'homme le plus redouté de Wasseypur. C’est Faizal Khan, fils de Sardar et petit-fils de Shahid, grand fumeur d’herbe, cruel et sans pitié, qui reprend le flambeau. 

(première partie) vo. s.-t Fr.

 

Critique

Une saga du gangstérisme indien qui se hausse à la hauteur de Scorsese et de Coppola.

Une geste policière comme on n’en espérait plus depuis Le Parrain de Coppola et le diptyque scorsésien Les Affranchis/Casino. Beaucoup s’y sont essayés, au cinéma ou à la télévision, en France, en Italie et en Grande-Bretagne, et se sont souvent couverts de ridicule. En Inde, pas de complexes, pas de tradition du genre à respecter : on fonce dans le tas, on mélange tout et on obtient l’une des oeuvres les plus vivantes, lyriques, cruelles et imagées de la catégorie. A la réalisation, Anurag Kashyap, adaptateur de Stephen King, auteur de films noirs et de relectures iconoclastes de classiques indiens.  Signalons tout de suite que ces deux heures quarante ne forment que la moitié d’une oeuvre-fleuve dont la suite sortira dans plusieurs mois. Il faudra revenir sur l’ensemble à ce moment-là. Pour l’instant, cette rivalité mortelle de deux clans s’affrontant de génération en génération (de 1941 à 2009), dans une petite ville minière du nord de l’Inde, se déploie avec une ampleur romanesque devenue rare. D’un côté, la famille de Ramadhir Singh, potentat local sans scrupules ; de l’autre, celle de son homme de main Shahid Khan, ex-bandit de grands chemins. La force de cette saga réside dans son caractère foncièrement hybride. “Si Gangs of Wasseypun’est pas bollywoodien dans sa forme, déclare Anurag Kashyap, il l’est dans le fond, car nous décrivons des personnages influencés par Bollywood.” En effet, le film a beau être tendu et impitoyable, il est également émaillé de scènes de comédie musicale, comme cette joyeuse scène de prison où, à la faveur d’un concert endiablé, le héros s’évade. Il y a de la violence, la vendetta, mais aussi des histoires d’amour de plus en plus compliquées, puisqu’elles finissent par unir les deux familles ennemies. Tableau édifiant de la corruption, de la zone grise entre business et gangstérisme, avec quelques scènes quasi romantiques, ce film n’est pas une splendeur formelle – la partie rétro aurait gagné à être plus soignée. Fait de bric et de broc (des flash-backs y apparaissent comme des cheveux sur la soupe), Gangs of Wasseypur est d’une richesse humaine insensée et narrativement addictif. Chaque action en entraînant une autre, se répercutant souvent sur trois générations, on est pris dans un tourbillon feuilletonesque. Cette dimension, étayée par le contexte archaïque qui rappelle les grands romans européens du XIXe siècle (les patrons féodaux des mines de charbon exploitant le Lumpenproletariat), nous offre grosso modo Dickens, Scorsese et Zola pour le même prix, avec un zeste de Bollywood. Que demander de plus ?

Vincent Ostria, Les Inrockuptibles, Juillet 2012

Projeté dans le cadre de

Du 1 Août 2012 au 28 Août 2012
Du 1 février 2023 au 21 février 2023
Collaboration avec la Société de lecture