Red Road

De Andrea Arnold
UK - 2006 - vost - 113' - Couleurs - 35mm
Synopsis

Jackie, opératrice pour une société de vidéo surveillance, repère sur l’un des écrans l’homme à l’origine de la mort de sa famille. Elle décide de l’approcher, nous entraînant du même coup dans une traque haletante et troublante par caméras interposées… 

Prix du Jury au Festival de Cannes 2006

Critique

Présenté au dernier festival de Cannes où il a remporté le prix du jury, Red Road, premier segment du concept "Advance party", repose sur un principe issu de la mode Dogma où trois réalisateurs développent, à partir des mêmes personnages, des scénarios différents qui se déroulent dans un pays déterminé (ici, l’Ecosse). Le moins que l’on puisse dire, c’est que le premier segment donne sacrément envie de découvrir la suite. Il s’appuie sur une thématique (le secret, la vengeance, le poids du passé) et un traitement elliptique qui risquent de rebuter tout ceux qui sont réfractaires aux petits exercices futés où le spectateur doit reconstruire un puzzle tout seul comme un grand. Pourtant, force est de reconnaître qu’ci, le travail en vaut la peine : au bout du cheminement, on est bouleversé par tant de détresse tout sauf complaisante et de tristesse tout sauf mélancolique. 
Le suspense naît d’une relation inconfortable entre deux personnages mystérieusement liés par le passé : une femme qui travaille pour une société de vidéosurveillance et un homme qu’elle n’aurait pas voulu reconnaître. Elle finit par l’espionner, cherche à entrer dans son univers glauque et éprouve progressivement autant d’attirance que de répulsion (la question du sexe et du désir entre en compte et provoque de multiples tohus-bohus intérieurs). Certains parti-pris déroutent volontairement : Jackie, le personnage principal incarné par Kate Dickie (une révélation) est souvent filmé de dos pour révéler la partie d’elle-même qu’elle ne peut pas voir. Au gré de son histoire, en multipliant les supports formels, la réalisatrice futée sans être manipulatrice hésite entre plusieurs directions : le rapport antonionien avec l’image, le thriller hanekien où un dispositif de surveillance serait l’enjeu d’un thriller cauchemardesque, la parabole sur le voyeurisme et la solitude amplifiée par une mise en abyme récurrente (on regarde sur un écran de cinéma un personnage qui regarde d’autres écrans). 
Loin de toute démonstration, la réalisatrice oublie ces pistes trop prévisibles voire cinéphiles et furète très rapidement dans des zones plus interlopes et passionnantes : celles d’un deuil où une douleur lancinante ne clame jamais son nom et justifie la renoncement à la vie. Ce premier film rudement impressionnant possède une authentique puissance émotionnelle qui renvoie à celle l’an passé du formidable Keane, de Lodge Kerrigan, avec son personnage seul à l’écran dont on cherchait à comprendre les errements et l’inquiétude intérieure. Il s’exprime ici la même intensité dangereuse et, surtout, la même propension à envelopper de toute sa sincère affection un personnage brisé par l’existence. Red Road est donc un diamant noir sulfureux qui dessine en filigrane un très beau portrait de femme que Jane Campion n’aurait certainement pas renié (on pense beaucoup au très sous-estimé In the cut, sans toutefois les connotations lourdement symboliques et proféministes) et révèle le talent d’une artiste qui n’a pas peur de se cogner à l’indicible, aux fantasmes interdits, aux aspérités de la vie. Beau charivari.

Romain Le Vern, Avoir-a-lire

Projeté dans le cadre de

16 Mai 2019
Red Road d'Andrea Arnold