Va d’un pas léger

De Yasujiro Ozu
Japon - 1930 - vost - 96' - Noir et Blanc
Synopsis

Kenji Koyama, truand et escroc, s’intéresse à la modeste Yasue. La compagne de Kenji s’arrange pour que Yasue soit compromise dans un hôtel avec son patron, mais Kenji la sauve. Avec son frère Senko, Kenji décide de se ranger et trouve un travail honorable, mais un vieil ami, Gunpei, essaie d’entraîner Kenji dans une nouvelle affaire…

Critique

Tourné de novembre 1929 à février 1930, c’est le 14e film réalisé par Ozu d’après une idée du réalisateur Hiroshi Shimizu. Shimizu et Ozu sont nés la même année en 1903 et leur amitié qui ne se démentira jamais date de 1924, année où Shimizu fut assistant-réalisateur auprès de Yoshinobu Ikeda alors qu’Ozu était lui-même assistant cameraman. Ozu, âgé de 26 ans, toujours vêtu de costumes importés a jusqu’à présent surtout réalisé des comédies «non-sense»; il est considéré comme un réalisateur «à l’américaine». Il est alors profondément influencé par le cinéma américain qu’il visionne passionnément et par le réalisateur japonais Yutaka Abe, qui avait travaillé à Hollywood et réalisait pour la Nikkatsu des comédies légères inspirées par les productions hollywoodiennes de l’époque comme La femme qui se touchait les jambes (Ashi ni sawatta onna, 1926) ou Cinq femmes autour de lui ( Kare o meguru go-nin no onna ). Les voitures, les bâtiments, les machines à écrire, les joueurs de golf, les trompettes, les hôtels, les affiches de films au mur tout rappelle les USA. Les saluts amusants sont inspirés directement du film d’Harold Lloyd The Freshman. La scène dans le cabaret est directement inspirée, comme d’autres plans «expressionnistes», du film de Sternberg, Underworld, sorti en 1927. Le surnom du chef de bande, «Ken le couteau», est une citation de «L’Opéra de quatre sous» de Kurt Weil. Ce parti-pris américano-européen crée une impression d’étrangeté liée au fait que le pays ainsi campé n’existe probablement nulle part, n’étant ni le Japon, ni vraiment les USA ou l’Europe. Le jeune Ozu, qui livre à la Shochiku un produit commercial typé correspondant à la mode du moment, essaie cependant dans ce film, pour son compte personnel, toutes les possibilités de la caméra. Certains plans, certains travellings ne sont là que pour tester les possibilités d’écriture filmique. C’est à bien des égards un inventaire, assez brillant, de l’éventail de la grammaire cinématographique alors possible. C’est par épuration progressive des moyens mis en œuvre, après qu’il les ait maîtrisés, qu’Ozu va peu à peu, au cours des films qui suivront, retenir les éléments correspondants à son univers, dont, dans le même mouvement, il prend peu à peu conscience, et créer ainsi le style propre, identifiable au premier instant, qui caractérise pour toujours son œuvre à partir de L’Auberge de Tokyo et surtout de Printemps tardif. Va d’un pas léger permet de cerner au plus près, et de façon plutôt jubilatoire, la façon dont un créateur comme Yasujiro Ozu utilise à ses propres fins les obligations du moment.

EW