National Gallery

De Frederick Wiseman
Etats-Unis, France, Grande-Bretagne - 2014 - vost - 180' - Couleurs - Numérique
Synopsis

National Gallery s'immerge dans le musée londonien et propose un voyage au cœur de cette institution peuplée de chefs d'œuvre de la peinture occidentale du Moyen-âge au XIXe siècle. C’est le portrait d'un lieu, de son fonctionnement, de son rapport au monde, de ses agents, son public, et ses tableaux. Dans un perpétuel et vertigineux jeu de miroirs, le cinéma regarde la peinture, et la peinture regarde le cinéma.

Critique

Après avoir promené sa caméra du côté de l’université de Berkeley (Californie) et avant, qui sait ?, d’aller explorer la Maison Blanche, le réalisateur américain Frederick Wiseman a choisi de faire halte à la National Gallery de Londres. Douze semaines de tournage (entre la mi-janvier et la mi-mars 2012), 160 heures de rushs au total, près d’un an de montage et, finalement, un film extraordinaire de près de trois heures. La quintessence de la méthode Wiseman, largement éprouvée depuis le temps qu’il « scanne » les institutions avec sa caméra ; mais, plus encore, une réflexion d’une infinie richesse sur les rapports entre la peinture et le cinéma.

Cette visite à la National Gallery est d’autant plus merveilleuse qu’elle se fait en compagnie des meilleurs guides et des meilleurs restaurateurs de tableaux. Des gens dont le souhait le plus cher semble être de transmettre leur passion au public qui se presse dans les salles du musée. « La beauté de l’art, c’est qu’il contient tout », dit une guide, tandis qu’elle présente une mystérieuse peinture d’Hans Holbein. Plus tard, un autre guide ajoutera : « Un tableau doit raconter son histoire en une seule image. Rien à voir avec un livre que l’on mettra six mois à lire. Un tableau, lui, n’a pas le temps. »

Suivez les guides, observez les restaurateurs, et surtout ouvrez grands vos yeux et écoutez bien. Au bout de trois heures, vous aurez l’impression d’avoir élucidé quelques-uns des plus beaux mystères de l’art. Quelle était l’intention de Vélasquez en peignant sa Vénus de dos ? Pourquoi Rubens a-t-il composé son Samson et Dalila à la manière d’un roman d’espionnage ? Pour quelles raisons Holbein a-t-il placé cette extraordinaire anamorphose en forme de tête de mort aux pieds de Jean de Dinteville et de Georges de Selve dans son tableau Les Ambassadeurs ? Quant à Rembrandt, pourquoi diable peignait-il ses chefs-d’œuvre sur d’autres chefs-d’œuvre ?

La magie d’une exposition, dit un conservateur, c’est quand les œuvres finissent par parler entre elles. La magie de ce film est de nous faire dialoguer avec quelques-uns des 2 400 tableaux qui composent la collection de la National Gallery – celle-ci a été amassée grâce à une vente du duc d’Orléans après la Révolution française, et aussi à l’argent collecté durant la traite négrière.

Scénario décrypté

Comme toujours chez Wiseman, rien n’est laissé de côté : problèmes budgétaires, politique marketing, conservation, recherche, éducation au patrimoine, etc. Il promène sa caméra partout, filme sans cesse, essayant de comprendre le fonctionnement de cette institution.

Les tableaux tiennent une place prépondérante dans ce film. Ils nous regardent comme ils observent le public venu les voir, et nous les regardons, passionnément. Regard contre regard, un procédé vieux comme le cinéma, d’autant plus riche ici qu’il se double de mots, de paroles posées sur certaines œuvres. Avec, à chaque fois, le même sentiment d’assister au décryptage d’un véritable scénario, voulu, pensé, imaginé par le peintre toujours aux prises avec le même défi : raconter une histoire en un éclair.

Tout au long du film, on assiste ainsi à une mise en abyme permanente entre cinéma et peinture. Comme si les tableaux de Vinci, Rembrandt, Turner, Claude Le Lorrain et quelques autres attendaient depuis longtemps la caméra de Wiseman pour, enfin, devenir les acteurs de leur propre histoire.

Frank Nouchy, Le Monde

Projeté dans le cadre de

Du 7 Novembre 2017 au 17 Novembre 2017
Le maître du documentaire