«Il n’y a que toi qui résiste», lui reproche son frère. «Bien sûr que je résiste !» rétorque Zahira. Quand on a 18 ans, qu’on est une lycéenne belge, qu’on sort en boîte, qu’on couche avec son mec, se marier avec un inconnu à l’autre bout du monde est une idée saugrenue.

Protégée par la bonté de ses parents immigrés du Pakistan et l’amitié de son frère, Amir, la jeune fille se sent forte et libre. «La tradition, c’est bien pratique quand on veut dire non», explique-t-elle, bravache, à un blond garçon pour refuser son invitation en week-end. Mais la tradition apprécie peu qu’on se joue d’elle.

Le réalisateur Stephan Streker, par ailleurs journaliste sportif, démonte avec précision et délicatesse le mécanisme du mariage arrangé. Une pratique patriarcale, dopée à l’Internet, qui permet d’organiser une parodie de cérémonie par webcam interposée. Sous nos yeux se met en place un engrenage infernal, huilé à la solidarité familiale et au chantage affectif.

Ce couple sympathique s’obstine à justifier sa décision anachronique par le «qu’en dira-t-on au village». Comme souvent, les femmes sont tour à tour victimes et manipulatrices, plus que complices dans le contrôle imposé sur le corps des autres, qu’il s’agisse d’avortement ou de mariage.«Evidemment que c’est injuste, on est des femmes, qu’est-ce que tu crois ?» balance la grande sœur à sa cadette rebelle pour la faire revenir à la maison.

Zahira se cherche, s’amuse même, persuadée que tout cela ne peut pas être vraiment sérieux. La débutante Lina El Arabi est parfaite en adolescente empêtrée dans ses racines, qui à la fois la portent et l’étouffent. Mais on comprend aussi le désespoir du père (incarné par Babak Karimi, le juge dans Une séparation, d’Asghar Farhadi), épicier dévoué et intégré, écartelé entre les pleurs de sa femme et l’amour pour ses enfants. La force de Noces est de respecter le ressenti de tous, sans juger ni condamner. On en sort profondément troublé.

Laurence Defranoux, Libération