Winter sleep

De Nuri Bilge Ceylan
Turquie, Allemagne, France - 2014 - vost - 196'
Synopsis

Autrefois acteur de théâtre, Aydin est retourné dans son village natal dans le but d’écrire une histoire du théâtre turc. Là, il vit en compagnie de sa jeune épouse et de sa soeur dans le petit hôtel Othello, qu’ils gèrent. L’hiver s’installe, les derniers clients s’en vont et le confinement obligé exacerbe un malaise diffus entre les trois personnages, alors qu’à l’extérieur les tensions sociales latentes obligent, elles aussi, le maître des lieux à sortir de son splendide isolement...

 

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LA FICHE DU FILM CHEZ VOUS

 

Critique

«Difficile de suffisamment vanter la beauté des dialogues et de la mise en scène du film, d’un niveau exceptionnel dans le cinéma contemporain. On n’a pas employé le mot «chef-d’œuvre» mais on n’en pense pas moins.»
arte, Olivier Père

 

Dans Les Climats, déjà, il avait filmé un couple en crise : au plus près des corps. Dans Il était une fois en Anatolie, il avait, en suivant des flics, un juge et un médecin à la recherche d'un cadavre enterré on ne sait où, révélé, sous les apparences, la vérité des sentiments. Winter Sleep – 3h15, mais 3h15 de bonheur total –, reprend ces thèmes en les amplifiant, en les rendant plus aigus et plus cruels.(...)

Tout commence par une pierre que jette un petit garçon sur la voiture de ce propriétaire qui a humilié son père. Lorsqu'on veut le forcer à baiser la main de son ennemi pour obtenir son pardon, il s'évanouit de rage et de honte... Il a plus de courage, ce gamin, que tout l'entourage d'Aydin : depuis longtemps, il n'a fait que se prosterner devant lui, qu'encourager, par son silence, ses fausses certitudes et ses pauvres valeurs morales.

C'est sa soeur qui ouvre le feu, un soir : allongée sur un divan, alors qu'il tape sur son ordinateur un de ces articles dont il est si fier, elle énonce avec une ironie suave la suffisance d'Aydin, son amateurisme, son manque de talent et son aveuglement sur lui-même. Sa jeune femme prend le relais : s'est-il jamais rendu compte à quel point il a pu l'humilier, l'abaisser, la détruire, presque, à force de maladresse, d'orgueil et de cynisme ? Ces deux affrontements, aux dialogues intenses, Nuri Bilge Ceylan les filme avec une intelligence et une rigueur incroyables. On songe à Ingmar Bergman, bien sûr, aux scènes de La vie conjugale, et de Cris et chuchotements.

Si ce n'est que Bergman professait peu d'indulgence pour les créatures en peine. Nuri Bilge Ceylan, lui, n'est que tendresse et c'est pourquoi, comme dans Il était une fois en Anatolie, d'ailleurs, c'est l'ombre de Tchekhov qui plane sur le film. Il y a chez le cinéaste turc comme chez le médecin-dramaturge russe, la certitude que les êtres humains, quoi qu'ils fassent, ne peuvent jamais éviter de trahir les rêves qu'ils ont rêvés. La vie passe sur eux comme un songe. Ils songent sans cesse à la recommencer, toujours trop tard, et surtout en vain. Le Turc et le Russe ont, sur le monde, la même lucidité et la même compassion. Et c'est ce qui rend leur oeuvre si évidente, si universelle...

Voilà : le film admirable de Nuri Bilge Ceylan est un choc esthétique, moral et cinématographique. (...)

Pierre Murat, Télérama