Au loin s'en vont les nuages

De Aki Kaurismaki
Finlande - 1996 - vost - 97' - Couleurs
Synopsis

Ilona est maître d'hôtel dans un petit restaurant de qualité mais un peu passé de mode, le "Dubrovnik". La faillite, largement souhaitée par les banquiers qui préfèrent tabler sur une vente plus juteuse pour eux, entraîne le licenciement des employés. Ilona et son mari Lauri, ex-conducteur de tramway, se retrouvent au chômage à peu près au même moment. Commence alors un vrai parcours du combattant…

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Critique

C'est à travers ce roman-photo d'une descente aux enfers du chômage que le finlandais Aki Kaurismaki fête I'entrée de son pays dans I'union européenne. Au loin s'en vont les nuages fait le portrait des classes moyennes européennes confrontées aujourd'hui à des enjeux quotidiens qui les dépassent. Au-delà du coup de projecteur donne sur un univers ordinaire où le Formica triomphe, le cinéaste construit son film sur les gestes et réactions de ses personnages (nordiques et drôles). Bonnes manières, entraide, simplicité, gaucherie et silences fatalistes font de la gentillesse, bien malmenée, une forme de civilité ultime mais sans beaucoup de poids face aux enjeux (le fric) abstraits, triviaux et barbares du moment. Un combat inégal qui, par la magie du cinéma, se fait victorieux avec son enchaînement final et presque miraculeux, mais pas improbable, d'aides, de coups de mains et d'énergies pour un retour à la vie. Car Au loin s'en vont les nuages est une "success story" dans la grande tradition où les rêves d'un jour (devenir son propre patron ou rêvasser sur une plage ensoleillée) côtoient les réalités de toujours (I'argent des banques, la débrouille). Kaurismaki filme les visages inexpressifs de ses acteurs (Kati Outinen est une Ilona mémorable) dans des décors naturels (maison, métro, rue, bar, restaurant, salon de coiffure, gare) qui finissent par ressembler à l’univers de studio (surtout du point de vue des couleurs — quelque part entre les films pastels de Demy et les Golden eighties d'Akerman).De simples plans fixes qui supportent la précision extrême de la narration finissent par créer à partir de cette chronique banale un univers vraiment original. Naïveté, simplicité (dans le sujet mais aussi dans son traitement) et donc modernité, c'est la le cinéma défendu par Aki Kaurismaki avec ce film heureux dont le constat social reste très dur y compris avec son happy end (c'est une "success story", oui, mais européenne). Drôle, émouvant, maîtrisé et jamais mièvre Au loin s'en vont les nuages est une œuvre admirable.

Jean Darrigol