Le Teckel

De Todd Solondz
Etats-Unis - 2016 - vost - 92' - Couleurs
Synopsis

Le portrait d’un teckel et de tous ceux auxquels il apporte un bref instant de bonheur au cours de son voyage.

> Article dans LA TRIBUNE DE GENEVE du 16 novembre 2016

> Article dans Le TEMPS du 16 novembre 2016

Critique

Ne surtout pas s'attendre à Fidèle Lassie ou quelque chose comme ça. Todd Solondz est l'un des cinéastes américains les plus grinçants. Le chien qu'il met en scène, fil conducteur du film, ne lui inspire ni amour ni hostilité : ce sont les humains autour de l'animal qui le passionnent. Tout ce qu'ils se font et se disent sur le dos de la bête. Le tableau est souvent terrible et drôle, mais parfois émouvant : il y a de plus en plus de nuances chez ce réalisateur indépendant dont la misanthropie fut longtemps monochrome, depuis Bienvenue dans l'âge ingrat (1996). Parmi les maîtres successifs du teckel, la jeune femme paumée jouée par Greta Gerwig (Frances Ha) a droit, au terme d'un chemin tortueux et déprimant, à une magnifique surprise sentimentale, que rien ne vient démentir ni tourner en dérision.

Dans la première famille qui accueille l'animal, de riches provinciaux, le chien suscite des conversations métaphysiques dignes de Woody Allen. Pour l'enfant, qui se remet d'une chimiothérapie, sa mère (Julie Delpy, excellente, entre aigreur, usure et douceur) doit justifier la stérilisation, puis le projet d'euthanasie du teckel. Les questions du fils poussent l'adulte dans des retranchements cuisants. La voilà obligée d'acquiescer à : « Donc, la mort est une bonne chose, hein ? »

Todd Solondz cultive le malaise, met un point d'honneur à affronter les sujets que Hollywood escamote : la maladie, le handicap (y compris mental), la vieillesse, l'obésité... Mais, à une ou deux scènes près, ses provocations sont nuancées par une discrète empathie pour les personnages et une attention extrême aux acteurs. En prof de ­cinéma au bout du rouleau, méprisé par ses étudiants arrogants et mégalos, Danny DeVito est remarquable. Une autre propriétaire éphémère du teckel, vieille dame diminuée par sa maladie, a les traits de la grande Ellen Burstyn. Mamie indigne et cassante, elle a rebaptisé le chien « Cancer » et ne prend de gants avec personne, pas même avec sa petite-fille au bord du gouffre (Zosia Mamet, l'une des héroïnes de la série Girls). L'agonie de l'égoïste ­malheureuse, sur fond de banlieue ­pavillonnaire, rappelle forcément la même Ellen Burstyn dans Requiem for a dreamde Darren Aronofsky, d'après Hubert Selby Jr. Plus nonchalant en apparence, Todd Solondz prolonge cette critique radicale de la vie américaine.

Louis Guichard, Télérama