Miss Peregrine et les enfants particuliers

De Tim Burton
Etats-Unis - 2016 - vost - 127' - Couleurs
Synopsis

À la mort de son grand-père, Jacob découvre les indices et l’existence d’un monde mystérieux qui le mène dans un lieu magique : la Maison de Miss Peregrine pour Enfants Particuliers. Mais le mystère et le danger s’amplifient quand il apprend à connaître les résidents, leurs étranges pouvoirs …  et leurs puissants ennemis. Finalement, Jacob découvre que seule sa propre "particularité" peut sauver ses nouveaux amis.

Critique

C’est l’histoire de Jacob (Asa Butterfield, découvert dans Hugo Cabret de Scorsese), un ado américain de base, qui a été élevé dans les récits fantastiques de son grand-père Abe (Terence Stamp), sans jamais imaginer qu’ils pouvaient être vrais. Mais voici qu’un jour Jacob retrouve Abe mourant, les yeux énucléés, et que ce dernier lui confie la mission d’aller sauver des gens en danger. Alors Jacob décide que son aïeul ne lui a peut-être pas raconté que des craques.

Il part pour une petite île isolée du pays de Galles sur les traces de l’enfance d’Abe, cet enfant juif polonais que ses parents avaient confié pendant la guerre à une école un peu particulière… Jacob va remonter le temps, rencontrer des enfants hors du commun, une belle et sévère directrice d’école (Eva Green, éblouissante, elle nous parlait de ce rôle dans un entretien la semaine dernière) mais aussi des monstres franchement méchants. Et être entraîné dans des boucles temporelles multiples pour essayer de lutter contre le mal et l’empêcher de nuire.

Un livre écrit pour Tim Burton

Au cas où vous l’ignoreriez, Miss Peregrine et les enfants particuliers de Ransom Riggs est l’un des plus grands succès de la littérature jeunesse mondiale des cinq dernières années. En voyant son adaptation (réussie, haletante) par Tim Burton, la première réflexion qui vient à l’esprit est que le livre a été écrit pour lui. Et qu’il est même impossible que Riggs n’ait jamais vu un film de Burton et qu’il ne l’ait aimé.

Un aller et retour entre la littérature et le cinéma

C’est peut-être la première fois que cette réflexion peut se faire, tout simplement parce que Riggs est né en 1979 et que jusqu’à présent Tim Burton adaptait des écrivains qui étaient antérieurs à son œuvre (Washington Irving dans Sleepy Hollow ou Lewis Carroll avec Alice au pays des merveilles). Cet aller et retour entre la littérature et le cinéma, cette probable réponse-hommage d’un romancier à l’univers d’un cinéaste plus vieux et installé ont quelque chose d’extrêmement émouvant.

Impossible, face à Miss Peregrine, de distinguer ce qui vient de Riggs ou de Tim Burton, tant les thèmes et les formes du film ressemblent à du Burton. Quoi de plus burtonien que ce vieil homme qui raconte des histoires (apparemment) abracadabrantes à son petit-fils ? Des adultes plus ou moins vieux qui ouvrent des enfants à la vie, qui leur donnent même la vie, il y en a pléthore chez Burton depuis ses débuts : un vieux savant fou (Vincent Price) crée Edward aux mains d’argent (Johnny Depp), l’acteur de films d’horreur Bela Lugosi (Martin Landau) devient le mentor d’Ed Wood (Depp), un père mythomane (Albert Finney) raconte sa vie rêvée (mais l’est-elle vraiment ?) à son fils dans Big Fish. Toujours, pour les interpréter des acteurs de prestige, porteurs d’univers de cinéma fantasmagoriques ou très marqués.

Une phobie de la réalité 

Dans Miss Peregrine…, c’est Terence Stamp (Losey, Pasolini, Fellini) qui joue le rôle du grand-père qui raconte des histoires. Jacob, en grandissant, a pris ses distances, il est “grand”, maintenant, n’est-ce pas ? Mais la mort étrange d’Abe va le ramener vers un univers qui ressemblait plus à un conte qu’à la réalité, celui de l’enfance.

Chez Burton, il y a une phobie de la réalité. Le monde réel, le présent (les scènes contemporaines sont à vous dégoûter d’y vivre) sont horribles parce qu’ennuyeux et méchants ; le monde de l’imaginaire est bien plus passionnant et rigolo même s’il est horrifiant. Et évidemment les freaks, les monstres, ici affublés du très beau vocable d’enfants “particuliers” (des enfants et adolescents superhéros sur le mode effrayant), sont à la fois plus passionnants et bien plus humains que les gens “normaux”, incarnés en particulier dans le personnage du père de Jacob, avec ses affreux shorts de touriste et ses habitudes d’être civilisé. Et c’est évidemment ce qui a fait le succès de Burton auprès des grands comme des petits : chacun se sent “particulier”, personne ne se sent ou n’a envie d’être “normal”.

Une réplique de Bresson

Les multiples voyages de Jacob dans des boucles temporelles, qui rejouent sans cesse, comme dans Un jour sans fin, les mêmes scènes, les mêmes crimes, mais les arrêtent aussi au moment où le pire allait arriver, permettront à Jacob de se découvrir lui-même un don qu’il ignorait avoir, car tout le monde a un don. Ils lui permettront aussi de rencontrer l’amour. A force de remonter ou de descendre le temps, Jacob finira par prononcer l’une des plus belles phrases de l’histoire du cinéma, tirée de Pickpocket de Robert Bresson : “Il m’a fallu tant de chemins pour parvenir jusqu’à toi.” Phrase que le héros, chez Bresson, adressait à l’actrice Marika Green, qui est la tante d’Eva Green… Comme si Burton nous avouait subrepticement avoir rencontré l’actrice de ses rêves. C’est un film bien mystérieux que ce nouveau film étonnant de Tim Burton.

Jean-Baptiste Morain, Les Inrocks