Du 18 Septembre 2024 au 28 Octobre 2024

Ma vie ma gueule

de Sophie Fillières

Notes de Sophie Fillières :

« On ne peut même pas parler du vrai. C’est ce qui fait partie de la détresse » -Samuel Beckett

Avec mes films précédents, j’ai le sentiment d’avoir en quelque sorte rêvé activement ma vie, j’ai du moins donné une tournure à ce que la vie m’a réservé de racontable, et une forme : celle du cinéma. Une certaine force, quelque peu centrifuge émanait de moi pour faire s’éclater en imaginations et en un imaginaire, des situations, des images, des dialogues, des histoires, à réaliser - au sens archi strict aussi - à rendre réelles.

Il est vrai que me taraudent (aussi bien dans Gentille que dans La belle et la belle, par exemple) la question de la conscience de soi, de la quête d’une forme d’identité et d’une inscription de soi (de mes personnages) dans le monde. Le comique, ou simplement une forme de drôlerie, et la force poétique de ce que je ressens comme absurde de notre passage au monde, me semblent être mon irrépressible manière. C’est sans doute par défaut bien sûr, d’envisager sérieusement et frontalement l’existence.

Mais avec Ma vie ma gueule, il s’agit, porté à son comble, à mon comble même, de l’effet d’un hyper frontal retour sur soi, et de ce que ça induit de comique et de violence, d’une forme d’épouvante de soi-même pourrait-on dire ! Comique et violent, car bien sûr la condition sine qua non de l’acceptation/rejet c’est l’autodérision, jusqu’à atteindre, parfois, une certaine noirceur.

Et comment désamorcer une forme de honte de soi ? Je ne parle pas vraiment, enfin pas seulement, de “complexes“ mais d’un profond embarras dramatique, tragique, à croire en cette vie qui est, somme toute, tout ce que nous avons, au secours !

Bien sûr il y a pour moi avec ce film, comme une opération de transfert, voire de transfusion. Mais Barbie, n’est pas moi, elle est juste celle par qui j’approche au plus près d’une vérité, une vérité d’individu, ce qui n’a rien à voir avec le vrai – le pas vrai, ou l’exactitude. Ce sont les sentiments de Barbie, son ressenti, et sa propre quête pour se réinsérer dans une sorte de récit d’elle-même, qui comptent.

Et, il s’agit pour moi cinéaste, d’inviter le spectateur, en miroir, à s’observer au monde, pour mieux l’appréhender, ce monde dont l’inintelligible parfois nous dépasse, nous écrase, nous effraie (oui, jusqu’à l’hospitalisation pour Barbie, traitée ici frontalement, mais avec espoir, j’y tiens), et parfois nous rehausse, nous hisse, là où on ne s’y attend pas.

Je voudrais essayer de traiter de plein fouet, pif, paf, youkou !, comment se débrouiller et faire avec l’énigme de soi. Car nous en sommes toutes et tous une. Comment nous admettre comme personnage, ce qui nous inscrira enfin dans une histoire qui serait la nôtre propre ? Comment Barberie Bichette, de son vrai nom, va-t-elle retrouver l’élan, de ce qui l’anime et la meut ? J’aimerais la montrer se débattre comme elle peut, sur le fil à peine encore assez tendu, en équilibriste trompe-la-mort, trompe-la-détresse, trompe-le-craquage...

Mais n’y a-t-il pas aussi une forme de drôlerie et de cocasserie, à partir d’un certain âge et d’une certaine distance prise avec soi-même et le monde qui nous entoure, à désirer (et pouvoir) encore en être. Il faut s’armer - et c’est d’ailleurs ce que fait Barbie - de courage et de ténacité pour partir à l’attaque, héroïquement, de ce versant pour le moins abrupt de la vie.

Nous sommes dans un premier temps, à la lisière : là, fragile et solide tout à la fois, Barbie lutte avec constance et légèreté. Du moins, s’emploie-t-elle à rester souple et comme élastique face aux amers rebonds de son âge, de la solitude, de la faiblesse, du temps non pas forcément cruel mais cru. Jusqu’à ce qu’elle bascule et plonge à la faveur, ou la défaveur, d’une rencontre de tout hasard avec un homme qui l’acculant sans le vouloir dans ses retranchements la fait craquer. Et pas amoureusement... Elle croit même un moment... qu’il est La Mort incarnée.

Alors, paf..., elle se retrouve en clinique, son hospitalisation étant tout d’abord racontée du point de vue de ses deux enfants. Ce changement de point de vue, m’intéresse et m’apparaît comme le pari à tenir de Barbie l’absente, bien absente, oui. Ils ont envie de la retrouver et nous avec eux, j’espère. Le lien maternel aux enfants et en retour, le lien filial, ne sont pas des lignes claires, ce sont des lignes continues et brisées à la fois. Je cherche aussi à explorer ça, souterrainement. A la clinique, Barbie mène sa vie, d’absente au monde mais pas à elle-même. Est-ce un bien, est-ce un mal, certes elle n’est pas tout à fait abandonnée, mais peut-être doit-elle l’être... et à son triste sort, comme on dit. Qu’elle le connaisse, l’identifie, et l’éprouve ce sort. Son sort.

Avec Youkou !, la dernière partie, j’aspire à la déplacer, loin mais pas trop loin, la toute relative notion du loin, chacun a son lointain, m’amuse. Son loin à elle est proche, il est de l’autre côté de la Manche. Et quelque chose, d’intime s’imposera, et fera peut-être enfin mouche, tilt. En tout cas, il s’agira d’être rendue à soi-même, et par là d’être exaucée... mais mieux encore, de quelque chose dont on ne pouvait soupçonner qu’on le souhaitait, et encore moins, désirait.

Ce plein fouet, cette frontalité, et cette défiance vis à vis du trop général, ou même du périmètre qui constituait ma zone, je souhaite en quelque sorte, les exploser, et m’y exposer, voire m’y dénuder.

Mais c’est à elle, toujours à elle, Barberie, à qui je pense, et à la comédienne qui l’interprètera. J’ai proposé le rôle de Barbie à Agnès Jaoui qui a accepté en me précisant qu’elle pensait non seulement au rôle dont elle avait senti qu’il pouvait compter pour elle, ce sont ses mots, mais aussi, et ce sont encore ses mots, à tous les êtres qui peuplent le film. Ça m’a touchée, beaucoup. J’aime chez Agnès Jaoui, son ancrage justement, sa « normalité », comme une vraie force, pour ne pas abonder dans la fragilité, l’instable, le déséquilibre. Mais débusquer quand même, quelque chose de sa haute sensibilité. Je souhaite qu’on puisse s’imaginer être elle, et aussi se retourner sur soi-même, et qu’à l’instar de Barbie, chacun, dans le temps et l’espace d’un film, ait accès momentanément ou plus durablement, à sa propre histoire, à son propre personnage. Une (autre) vision de soi.

Avec Ma vie ma gueule, j’aimerais faire apparaître une figure attachante, à laquelle on peut s’identifier dans nos aspirations et nos craintes, notre enjouement et notre courage à pouvoir vivre et notre malédiction à devoir un jour mourir, notre recto-verso. Et que l’on puisse se dire, un moment au moins, comme elle : J’existe. Me voilà.

Programmation

Samedi 5.10
Vendredi 11.10
Mardi 15.10
Samedi 19.10
Vendredi 25.10
Lundi 28.10
Lundi 4.11