Du 24 Juin 2015 au 31 Juillet 2015

Contes Italiens

De Vittorio et Paolo Taviani

Une merveille pure, célébration de l’amour intemporel dans la Toscane médiévale, par les Taviani qui, en adaptant Boccace, semblent avoir retrouver la force d’un Fiorile. Des chapitres littéraires et éminemment cinématographiques, tour à tour sombres, tragiques, fantastiques, drôles et fantasques également, intrinsèquement romantiques.

L’argument : Florence, XIVème siècle : la peste fait rage. Dix jeunes gens fuient la ville pour se réfugier dans une villa à la campagne et parler du sentiment le plus élevé qui existe, l’amour, dans toutes ses nuances.

Notre avis : Ressuscités par César doit mourir, Ours d’or à Berlin en 2012, les Taviani reviennent au cinéma romanesque qui était le leur dans les années 80-90, avec Le Soleil même la nuit ou Fiorile, mais en réinvestissant ce format chapitré qui a aussi contribué à leur renommée en 1984, le film à sketchs, avec le premier Kaos. 
Oeuvre à la fois légère et sombre, somptueusement romantique, au titre français évocateur à raison des marivaudages de Rohmer, Contes italiens est l’adaptation sage, mais foisonnante de beauté, de cinq récits issus du Décaméron. L’anthologie de récits de Boccace, aux genres variés, portée notamment à l’écran par Pasolini, dans les années 70 avec la volonté d’en découdre avec les canons de la société italienne de l’époque, trouve un ton propre chez les Taviani. Ces chantres du terroir local (Padre Padrone, Palme d’or Cannoise), installent leur caméra dans les splendeurs d’un cadre florentin et Toscan où la magie du cinéma a effacé toute trace contemporaine pour ne garder que la majesté des paysages verdoyants, où les bâtisses médiévales apportent une architecture éparse et poétique à des images qui ne manque pas, elles-mêmes, de poésie.

Si l’on sent parfois la tentation de la gaudriole, notamment dans le 2e sketch, farce cruelle avec Kim Rossi Stuart en attardé mental qui se rêve d’invisibilité, le ton est essentiellement celui de la passion ardente. Dans un climat cadre morbide, celui de cités dévastées par la peste (l’introduction paranoïaque, emportée par une composition musicale puissante) où chacun perd la raison au contact d’une mort omniprésente, les Taviani décrivent l’urgence d’aimer. A travers le retrait précipité d’un groupe d’amis - des jeunes gens, en couple ou célibataires malheureux, loin de la foule déchaînée de Florence, les deux frères retrouvent ce même sentiment d’urgence que dans La Nuit de San Lorenzo, où il était question de l’Occupation dans un village de Toscane et de ce besoin vital de résistance.
Comme dans l’anthologie de Boccace, ils précipitent ces jeunes gens dans une villa magnifique, épargnée par la souffrance, au bord d’un lac irréel... Un havre de paix où ces jeunes gens vont maquiller leurs peurs et les horreurs de ces années sombres, en revenant à cet art oral du récit... Tour à tour, ils vont conter leur besoin de divertissement, travestir la réalité de leurs désirs de grivoiserie (la frustration au couvent a ses réponses que la nuit sait apporter), de songes d’amour plus fort que la mort (un retour de l’au-delà précédé d’une tentation de l’acte nécrophile)...

Les Taviani, chacun âgé de plus de 83 ans, aiment s’émerveiller devant une jeunesse dont ils peignent à la fois toute la beauté d’être, mais aussi cette fragilité face à l’épidémie impromptue qui pourrait écourter leur présence ici-bas, mettant un terme à cette expérience de vie en construction.
En adaptant le génie de Boccace, les auteurs de Fiorile, dont on retrouve tout l’impérialisme de la tragédie, parlent surtout de (ou à) la jeunesse contemporaine, dont les affres et aspirations se font l’écho de celles d’autres jeunes gens, à des époques lointaines et toutes aussi tourmentées. Avec la fluidité de leur caméra, leur mise en scène élaborée ravivant les souvenirs d’un montage qui laissait vivre des personnages dans un décor en évolution, les Taviani nous replongent surtout dans leur constellation filmique, l’une des plus belles que le cinéma transalpin nous ait jamais offerte. Une merveille.

Frédéric Mignard, À voir à lire.