Le Voyage de la peur

Ida Lupino appartient à la grande histoire de Hollywood. Actrice de polar, elle passe à la fin des années 1940 à la mise en scène en association avec son mari producteur. À son palmarès, une série de films noirs où se dessine une tendance féministe et sociale. Mais elle pratiquait aussi à merveille l’exercice de style. La preuve, ce Voyage de la peur qui travaille deux ressorts du film noir à la manière des plus grands : la paranoïa et la claustrophobie. Qui est-il donc, cet étranger pris en stop par deux hommes mariés, qui ont prétexté auprès de leur femme une partie de pêche pour, en fait, partir en goguette du côté de la frontière mexicaine ? Un dangereux psychopathe, assoiffé de sang et de meurtres, comme le clament les manchettes des journaux étalés dans les premières minutes du film ? Et qu’arrivera-t-il aux deux pères de famille pépères ? Voilà pour l’argument. Mais il n’est pas interdit d’y voir autre chose, surtout dans cette Amérique des années 1950, congelée dans la guerre froide. Et si cet étranger était une menace juste parce qu’il est un étranger, un homme venu d’ailleurs, menaçant l’american way of life ? C’est le talent d’Ida Lupino que de laisser le champ libre à toutes les interprétations.

Marie Colmant, Télérama