Lumumba

De Raoul Peck
France, Belgique, Allemagne, Haïti - 2000 - vost - 115' - Couleurs
Synopsis

Patrice Lumumba, héros de l'indépendance congolaise, n'a pas trente ans lorsque les premiers soubresauts d'une décolonisation bâclée le propulsent sur le devant de la scène politique internationale. De fonctionaire indigène au bureau de poste de Stanleyville, en passant par plusieurs séjours en prison pour vol ou pour incitation au désordre, il deviendra en l'espace de quelques années (1957-1960) l'homme le plus vilipendé de cette période intensive de la guerre froide. Période qui a mené le monde au bord d'un conflit mondial. Devenu premier ministre de l'un des pays les plus riches d'Afrique, son destin de héros tragique était tout tracé, son assassinat dès lors programmé. Il ne restera que trois mois au pouvoir. Janvier 1961, ses assassins n'avaient plus alors qu'à faire disparaître son corps. 

Critique

Quelle est l’importance aujourd’hui de faire un film sur la tragédie de Lumumba ?
C’est une histoire qu’il ne faut pas oublier, qui se passe à une époque charnière pour nos pays, pour l’Afrique en particulier. Il ne faut pas oublier que plus d’une dizaine de pays ont eu leur indépendance entre 60 et 61 : c’était une période d’énormes espoirs pour nos pays, et on voit dans quel état nous sommes aujourd’hui… Travailler sur cette période permet donc de comprendre beaucoup de choses, et notamment les intérêts qui continuent à être en jeu, les partis pris des uns et des autres, les responsabilités, y compris de nous-mêmes, et le film problématise l’ensemble de ces aspects.
Contrairement à votre documentaire très personnel « Lumumba, la mort d’un prophète », vous avez tenu dans ce film à rester très proche de la réalité.
Effectivement, la première image du film précise que c’est une histoire vraie. Les témoins sont encore vivants, les archives existent, les journalistes qui ont couvert les événements peuvent encore parler, sa fille Juliana Lumumba également. De bout en bout, il n’y a aucun personnage que j’ai inventé, il n’y a aucun dialogue que j’ai inventé ou très peu, les discours sont des discours réels de Lumumba, du roi Baudouin et des autres, les interviews sont réelles, les émeutes sont réelles, le film est réel de bout en bout. Je n’ai pas inventé la scène de dépeçage du cadavre, par les deux commissaires belges : j’ai le témoignage de l’un de ces deux intervenants ! Ce n’est pas une fiction, au sens ou j’aurais inventé un événement. Par contre, je pense que l’approche fictionnelle dans le sens d’un récit cinématographique était nécessaire pour toucher le public le plus large possible, contrairement à mon documentaire. La monté au pouvoir de Lumumba et sa chute, son assassinat… tout est malheureusement réel dans ce film ! La scène du parlement, le jour de l’indépendance, est construite à partir des archives existantes. Vous retrouvez dans ce film un bon nombre d’images d’archives qui étaient dans le documentaire, et que j’ai recréées dans la fiction.
Le film arrive au moment où la Belgique a constitué une commission d’enquête sur la disparition de Lumumba. Est-ce une coïncidence ? Les opinions publiques sont-elles mûres pour se poser de telles questions ?
Il y a un certain mûrissement : chacun travaille sur sa propre histoire. Toute demande de vérité est bonne à prendre ! Je pense que c’est une demande légitime de l’opinion publique belge de savoir ce qui s’est vraiment passé au Congo à cette époque et quelles sont les responsabilités des uns et des autres, notamment des gouvernements belges de l’époque. Je ne peux donc que soutenir une telle commission d’enquête. Mais le film, lui, n’a pas été fait de manière conjoncturelle : ça fait dix ans que je travaille sur Lumumba ! Voilà que j’ai enfin pu le faire, et il a été fait pour rester et pour être un témoignage important de notre histoire. Si l’actualité nous rejoint, tant mieux ! Je pense que ça sensibilisera encore plus l’opinion et lui permettra de comprendre de façon beaucoup plus charnelle encore le fond de cette histoire. Lumumba est un personnage emblématique : Cabral, Samora Machel, etc., mériteraient aussi leur film ! Lumumba a été fait pour faire connaître cette histoire, préserver la mémoire.

Entretien d’Olivier Barlet avec Raoul Peck, Africultures.com