Le Fils de Saul

De László Nemes
Hongrie - 2015 - vost - 107' - Couleurs
Synopsis

Octobre 1944, Auschwitz-Birkenau.
Saul Ausländer est membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. Il travaille dans l’un des crématoriums quand il découvre le cadavre d’un garçon dans les traits duquel il reconnaît son fils. Alors que le Sonderkommando prépare une révolte, il décide d’accomplir l’impossible : sauver le corps de l’enfant des flammes et lui offrir une véritable sépulture.

Critique


Concernant le cinéma et la Shoah, longtemps, on s’en est tenu à l’adage de Claude Lanzmann : pas de fiction possible. Non par dogmatisme obtus, mais par simple constat : de Kapò à La Liste de Schindler, du Choix de Sophie à La vie est belle, les reconstitutions naturalistes des camps ont toujours revêtu un aspect sombrement kitsch, vaguement obscène, en deçà ou à côté de la gravité des enjeux induits.
La parole (Shoah), l’écrit (l’abondante littérature sur le sujet, de Primo Levi à Filip Müller), ou la figuration ultrastylisée (Maus, les installations de Christian Boltanski…) semblaient mieux convenir à la transmission de cet épisode majeur de notre civilisation, trou noir qui sollicite plutôt le savoir, la pensée et l’imaginaire que le voir, pour les générations d’après.
C’est dire si le trentenaire László Nemes a fait preuve d’un mélange incroyable de courage et de culot en s’appropriant ce matériau pour en proposer sa vision. Il ne s’est pas lancé à l’improviste, mais armé d’une solide connaissance de la question. Le Fils de Saul est très clairement informé, infusé, investi de tout ce savoir préalable (voir la scène de la photo clandestine au seuil de la chambre à gaz).

Mais cette rigueur historique n’est qu’une nécessaire fondation sur laquelle s’appuyer. Nemes la dépasse, l’amène vers l’œuvre, par un choix de mise en scène radical : tout voir et surtout entendre depuis le point de vue subjectif et limité de son personnage (joué par l’extraordinaire Géza Röhrig).
Flou des distances, rayon de vision réduit, exacerbation ou éloignement des sons (hurlements, portes qui claquent, bruits métalliques, brouhaha babélien…), toutes les options esthétiques de Nemes découlent de ce choix, qui est également historique autant qu’éthique. Car qui pourrait prétendre avoir une vision globale d’un camp, hormis le SS sur son mirador, ou l’historien des années après ?
En se calant sur la vision immersive d’un membre d’un Sonderkommando (groupe de détenus en charge des chambres à gaz), Nemes opte logiquement pour ce style subjectif, fragmenté, chaotique, hallucinatoire, éprouvant, où l’on ne voit pas grand-chose tout en ayant le sentiment de tout voir, où l’on ressent pour la première fois dans une fiction de cinéma la sensation puissante, secouante et juste d’approcher un peu l’idée de ce qu’était un camp de la mort.

Serge Kaganski, Les Inrocks

Projeté dans le cadre de

26 Avril 2017
De László Nemes