We Feed the World

De Erwin Wagenhofer
Autriche - 2005 - vost - 96' - Couleurs
Synopsis

Chaque jour à Vienne, la quantité de pain inutilisée, et vouée à la destruction, pourrait nourrir la seconde plus grande ville d'Autriche, Graz... Environ 350 000 hectares de terres agricoles, essentiellement en Amérique latine, sont employés à la culture du soja destiné à la nourriture du cheptel des pays européens alors que près d'un quart de la population de ces pays souffre de malnutrition chronique. Chaque Européen consomme annuellement 10 kilogrammes de légumes verts, irrigués artificiellement dans le Sud de l'Espagne, et dont la culture provoque des pénuries d'eau locales...

Séance présentée par Jean Ziegler

Critique

Toutes les cinq secondes un enfant de moins de dix ans meurt de faim, tandis que des dizaines de millions d’autres, et leurs parents avec eux, souffrent de la sous-alimentation et de ses terribles séquelles physiques et psychologiques.

Et pourtant, les experts le savent bien, l’agriculture mondiale d’aujourd’hui serait en mesure de nourrir 12 milliards d’êtres humains, soit près du double de la population mondiale. Nulle fatalité, donc, à cette destruction massive. Comment y mettre fin ?

En prenant d’abord conscience des dimensions exactes du désastre : un état des lieux documenté, mais vibrant de la connaissance acquise sur le terrain par celui qui fut si longtemps en charge du dossier à l’ONU, ouvre le livre. Il s’agit tout aussitôt de comprendre les raisons de l’échec des formidables moyens mis en œuvre depuis la Deuxième Guerre mondiale pour éradiquer la faim. Puis d’identifier les ennemis du droit à l’alimentation. Pour saisir enfin le ressort des deux grandes stratégies à travers lesquelles progresse à présent le fléau : la production des agrocarburants et la spéculation sur les biens agricoles.

Comme toujours avec Jean Ziegler, la souffrance a un visage, l’oppression un nom, et les mécanismes à l’œuvre sont saisis dans leur application concrète.

Mais l’espoir est là, qui s’incarne dans la résistance quotidienne de ceux qui, dans les régions dévastées, occupent les terres et opposent le droit à l’alimentation à la puissance des trusts agro-alimentaires. Ils attendent de nous un indéfectible soutien.

Au nom de la justice et de la dignité de l’Homme.

Destruction massive - Géopolitique de la faim

 

 

Son camp, Jean Ziegler l’a choisi depuis longtemps. Son engagement est même l’œuvre de toute une vie. À l’université de Genève d’abord, où il a formé des générations de sociologues à la pensée critique. À l’ONU ensuite, où il a travaillé sans relâche à l’éradication de la faim au nom de la dignité des peuples. Dans ses livres enfin, par lesquels il n’a cessé de dénoncer les mécanismes d’assujettissement des peuples du monde.

À partir de ses expériences de terrain et de son travail critique, Jean Ziegler a constitué le trésor de guerre que voici, présenté dans une édition entièrement refondue, plus de trente ans après la première. Comment penser le monde et le transformer ? Quels sont les outils analytiques à notre disposition pour y parvenir ?

Choisir son camp, oui. Parce qu’il est grand temps de retourner les fusils.

Retournez les fusils ! - Choisir son camp

 

BIOGRAPHIE INTELLECTUELLE
Jean Ziegler analyse dans son dernier ouvrage la situation mondiale et annonce une «insurrection des consciences».

Jean Ziegler vient de publier Retournez les fusils! Choisir son camp aux éditions du Seuil. Trente-cinq ans après la publication de Retournez les fusils! Manuel de sociologie d’opposition, l’intellectuel genevois revisite sa biographie intellectuelle, enrichie de son expérience sur le terrain et de moments d’introspection. Dans un style puissant et imagé, ponctué de citations, son dernier ouvrage constitue une incitation à l’action. Jean Ziegler n’a rien perdu de sa capacité de révolte et fait preuve d’un optimisme inébranlable dans un avenir meilleur. Rencontre.

Pourquoi revenir, plus de trente ans après, sur «Retournez les fusils»?

(... Article en ligne, notamment depuis notre site)

Pourquoi avoir gardé le titre?

Il vient de Lénine. En septembre 1915, une année après le déclenchement de la boucherie entre travailleurs et paysans des différents pays, pas entre bourgeois, la IIe Internationale a convoqué un congrès clandestin à Zimmerwald, un petit village dans les Préalpes bernoises, camouflé en congrès d’ornithologie. Trente-huit partis étaient représentés, avec Grimm, Naine et Platten pour la Suisse. Deux tendances se sont aussitôt dessinées. Les pacifistes italiens et espagnols voulaient inciter les travailleurs à déposer les armes et à rentrer chez eux. Tandis que pour Lénine, Trotsky, Zinoviev, Kamenev et les autres du parti russe, relevant que par un miraculeux hasard le prolétariat était armé, il fallait retourner les fusils contre les dominateurs.

Et aujourd’hui, quels fusils avons-nous à disposition?

Aujourd’hui les fusils, sauf exception, ce ne sont pas les instruments guerriers, mais les droits démocratiques que nous avons et n’utilisons pas: la grève générale, les manifestations, les élections. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie.

Qu’est-ce qui a fondamentalement changé en trente ans?

Deux choses: l’émergence d’une dictature mondiale du capital financier globalisé et la perte presque totale de souveraineté nationale, quel que soit l’Etat. Les grandes sociétés transcontinentales privées qui dominent la planète sont à 90% originaires de pays démocratiques, leurs QG sont chez nous. Selon la Banque mondiale, les 500 plus grandes contrôlent aujourd’hui plus de 50% du PIB mondial brut, c’est-à-dire la moitié de toutes les richesses produites en une année sur la planète. Ces oligarchies, minces en nombre, sont infiniment puissantes économiquement, socialement, politiquement et même militairement, puisque nous assistons à une privatisation de la violence militaire. Elles jouissent d’un pouvoir qu’aucun empereur n’a jamais eu dans l’histoire de l’humanité. Elles soumettent le travail des hommes et la nature à une dictature impitoyable, obéissant à un seul critère: la maximisation du profit à court terme. Nestlé et Unilever ne sont pas là pour combattre la faim dans le monde. Ils exercent une violence structurelle et échappent à tout contrôle étatique, social, syndical.

Qu’appelez-vous l’«ordre cannibale du monde»?

Dans l’hémisphère sud, des millions d’êtres humains ne vivent pas comme des hommes. Les fosses communes se creusent. Par exemple, la destruction par la faim. Selon le rapport de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), un enfant de moins de 10 ans meurt de faim ou de ses suites immédiates toutes les cinq secondes. Et près de 1 milliard sont en permanence gravement sous-alimentés.

Marx pensait que le manque objectif allait accompagner l’humanité pendant des siècles encore. Il s’est trompé. Depuis sa mort, en 1883, les révolutions industrielles et technologiques ont potentialisé formidablement les forces de production de l’humanité. Pour la première fois dans l’histoire, il n’y a aujourd’hui plus de manque objectif. L’agriculture mondiale pourrait nourrir normalement 12 milliards d’êtres humains, donc presque deux fois plus de personnes que compte la Terre. Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné. C’est ça l’ordre cannibale du monde.

Vous dites que «l’aliénation de la conscience collective est presque achevée» et pourtant vous gardez des raisons d’espérer, n’est-ce pas contradictoire?

Jean Ziegler: D’une part je dis que l’aliénation est pratiquement achevée. Avec un minimum de violence, l’oligarchie a réussi à imposer son ordre meurtrier, une conscience homogénéisée, et à désarmer la pensée critique présente dans chaque être humain. Dans des pays libres, en plus. A Pékin ou au Honduras, ce n’est pas difficile. Mais dans des pays qui connaissent toutes les libertés, qui ont accès à toutes les informations...

Si bien que quand le Programme alimentaire mondial a déclaré, début décembre, qu’il n’avait plus d’argent pour nourrir les 1,7 million de réfugiés syriens, personne n’a réagi. Il y a eu cinq lignes dans les journaux. Alors que ce qui nous sépare des victimes, c’est uniquement le hasard de la naissance. Notre conscience de la solidarité et de l’empathie est presque complètement murée dans l’idéologie néolibérale, la croyance qu’on ne peut rien faire.

En même temps, je dis que la société civile planétaire fait naître une nouvelle résistance par l’insurrection des consciences. Notre conscience est celle de l’humanité. Une personne normalement constituée ne peut voir des images du Sud Soudan ou des naufragés en Méditerranée sans réaction. Mais celle-ci est immédiatement réprimée. L’aliénation a ceci de particulier qu’elle recouvre la conscience. Mais la conscience de l’identité entre tous les hommes couve comme les braises sous la cendre, elle est constitutive de l’être humain: je me reconnais dans les autres, ce ne sont pas des animaux. Il faut libérer cette conscience.

A quoi ressemble cette nouvelle société civile planétaire?

Ce nouveau sujet de l’histoire, cette fraternité de la nuit, qui est fractionnée pour l’instant et se donne à voir pendant six jours au Forum social mondial. C’est Greenpeace, Attac, Amnesty, le mouvement des femmes ou Via Campesina; 142 millions de petits paysans et métayers qui luttent contre les trusts. Ou encore la coalition «Pas de sang sur nos vêtements» qui s’est formée après la mort de 1300 femmes et jeunes filles dans des conditions effroyables au Bengladesh.

Ces combats au cœur ou à la lisière du système sont le signe évident de l’émergence d’un nouveau sujet de l’histoire. Tous ces mouvements ne fonctionnent pas selon un comité central, une ligne de parti, qui pour nous était le seul mode d’organisation, mais selon la conscience de l’identité: l’autre est détruit par la faim, la surexploitation, le hasard de la naissance. Les classes sociales, les religions, les âges, les sexes se mêlent. Ce front du refus porte l’espérance des peuples.

Propos recueillis par Christiane Pasteur, Le Courrier, Lundi 19 janvier 2015

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