REQUIEM POUR UN MASSACRE

De Elem Klimov
Russie - 1985 - vost - 142' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Fliora, jeune garçon d'un village de Biélorussie occupé par les troupes nazies, s'engage, bien que trop jeune, chez les partisans. Il va découvrir l'amour, la fraternité, la souffrance, la guerre. Grand prix du festival de Moscou juillet 1985.

Critique

Sorti en 1985 après sept ans de censure, ce quasi-documentaire raconte les tueries de civils perpétrées en Biélorussie par les nazis, à travers les yeux d’un enfant. Une plongée dans l’horreur, à la fois splendide et terrifiante, signée Elem Klimov.

« Il était de ma responsabilité de raconter cet enfer. » Natif de Stalingrad, Elem Klimov avait 9 ans quand il a dû fuir avec sa mère et son frère la ville, pilonnée par les nazis. Un enfer de flammes et de bombes. A chaque explosion, mamouchka recouvre ses enfants d’un édredon et se couche sur eux. La traversée de la Volga transformée en fleuve de feu à cause des réservoirs de pétrole qui s’y étaient répandus, la ville qui brûlait entièrement sur soixante kilomètres de distance, l’exode vers l’Oural… Autant d’images traumatiques que le cinéaste russe s’est donné pour mission de transmettre.

C’est la lecture des écrits de son compatriote Ales Adamovitch, Je suis un village en feu et Khatyn, sur la tuerie de masse de Biélorusses par l’armée allemande, qui fournira à Klimov l’idée et le scénario de Requiem pour un massacre. Sur le front russe, ce ne sont pas moins de six cent vingt-huit bourgades de Biélorussie qui furent détruites par le feu avec leurs habitants brûlés vifs. Six cent vingt-huit Oradour-sur-Glane. En 1977, sous le titre allégorique de Tuez Hitlerle cinéaste soumet son projet à Mosfilm, le comité soviétique en charge du cinéma. Veto de la censure, qui bloque le film pendant sept ans. Klimov finit par obtenir l’autorisation à condition de supprimer toute allusion à Hitler dans le titre. Son frère lui suggère d’opter pour un verset de l’Apocalypse : Va et regarde qui colle mieux à la volonté de Klimov de plonger le spectateur dans l’horreur de la barbarie.

Le tournage est évidemment un cauchemar. Neuf mois terribles, dans les forêts et les marécages de Biélorussie. Pas d’acteurs, mais des paysans locaux, parmi lesquels des survivants des massacres, pour donner plus d’authenticité à la reconstitution. Obus et balles réelles sifflent et explosent autour du jeune Aleksei Kravchenko, innocent gamin de 15 ans par les yeux bleus exorbités duquel on découvre l’horreur en même temps que lui. Une équipe de psychologues s’assure que personne ne devient fou. L’ultra réalisme de ces longs plans-séquences tournés au Steadicam dans une lumière naturelle souvent déclinante, qui apporte du grain et un côté ouaté à l’image 4/3, les fait basculer du quasi-documentaire vers un lyrisme à la Tarkovski, mais sans aucun espoir de rédemption divine. L’utilisation du Requiem de Mozart à la fin du film ne doit pas être étrangère à l’invention du titre français, Requiem pour un massacre.

Exploité et connu dans le reste du monde sous son titre original, Va et regarde, le chef-d’œuvre d’Elem Klimov sera reçu avec les honneurs publics et critiques de part et d’autre du rideau de fer lors de sa sortie, en 1985. Mais l’époque, sans doute, le priva des récompenses prestigieuses auxquels il aurait pu, très légitimement, prétendre. Nommé en retour premier secrétaire de l’Union des artistes du cinéma de l’URSS, Elem Klimov prend néanmoins ses distances avec ses pairs, qu’il juge trop inféodés au Parti. Après ce splendide et terrifiant chant du cygne, il ne tournera plus, déclarant, et on le comprend, avoir « perdu le goût de faire des films ». 

Jérémie Couston, Télérama, 2019